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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/59

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nestre d’environ trois brasses, tenans bien neantmoins chacun le bout de sa corde, laquelle est de mesme longueur, tirent lors si fermement que le prisonnier, saisi comme j’ay dit par le milieu du corps, estant arresté tout court, ne peut aller ne venir de costé ni d’autre : là dessus on luy apporte des pierres et des tects de vieux pots cassez, ou de tous les deux ensemble : puis les deux qui tiennent les cordes, de peur d’estre blessez se couvrans chacun d’une de ces rondelles faites de la peau du Tapiroussou, dont j’ay parlé ailleurs, luy disent : Venge-toy avant que mourir : tellement que jettant et ruant fort et ferme contre ceux qui sont là à l’entour de luy assemblez, quelquesfois en nombre de trois ou quatre mille personnes, ne demandez pas s’il y en a de marquez.

Et de fait, un jour que j’estois en un village nommé Sarigoy, je vis un prisonnier qui de ceste façon donna si grand coup de pierre contre la jambe d’une femme que je pensois qu’il luy eust rompue. Or, les pierres, et tout ce qu’en se baissant il a peu ramasser aupres de soy, jusques aux mottes de terre estans faillies, celuy qui doit faire le coup ne s’estant point encor monstré tout ce jour-là, sortant lors d’une maison avec une de ces grandes espées de bois au poing, richement decorée de beaux et excellens plumages, comme aussi luy en a un bonnet et autres paremens sur son corps : en s’approchant du prisonnier luy tient ordinairement tels propos, N’es-tu pas de la nation nommée Margajas, qui nous est ennemie ? et n’as-tu pas toy-mesme tué et mangé de nos parens et amis ? Luy plus asseuré que jamais respond en son langage (car les Margajas et les Toupinenquins s’entendent) : Pa, che tan tan, aiouca atoupavé : c’est à dire, Ouy, je suis tres fort et en ay voirement assommé et mangé plusieurs. Puis