Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/61

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Ainsi, pour continuer ce propos apres ces contestations, et le plus souvent parlans encores l’un à l’autre, celuy qui est là tout prest pour faire ce massacre, levant lors sa massue de bois avec les deux mains, donne du rondeau qui est au bout de si grande force sur la teste du pauvre prisonnier, que tout ainsi que les bouchers assomment les bœufs par-deçà, j’en ay veu qui du premier coup tomboyent tout roide mort, sans remuer puis apres ne bras ne jambe. Vray est qu’estans estendus par terre à cause des nerfs et du sang qui se retire, on les voit un peu formiller et trembler : mais quoy qu’il en soit, ceux qui font l’execution frappent ordinairement si droit sur le test de la teste, voire sçavent si bien choisir derriere l’oreille, que (sans qu’il en sorte gueres de sang) pour leur oster la vie ils n’y retournent pas deux fois. Aussi est-ce la façon de parler de ce pays-là, laquelle nos François avoyent jà en la bouche, qu’au lieu que les soldats et autres qui querellent par-deçà disent maintenant l’un à l’autre : Je te creveray, de dire à celuy auquel on en veut, Je te casseray la teste.

Or si tost que le prisonnier aura esté ainsi assommé, s’il avoit une femme (comme j’ay dit qu’on en donne à quelques-uns), elle se mettant aupres du corps fera quelque petit dueil : je di nommément petit dueil, car suyvant vrayement ce qu’on dit que fait le crocodile : assavoir que ayant tué un homme il pleure aupres avant que de le manger, aussi apres que ceste femme aura fait ses tels quels regrets et jetté quelques feintes larmes sur son mari mort, si elle peut ce sera la premiere qui en mangera. Cela fait les autres femmes, et principalement les vieilles (lesquelles plus convoiteuses de manger de la chair humaine que les jeunes solicitent incessamment tous ceux qui ont