Aller au contenu

Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/60

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour faire plus de despit à ses ennemis, mettant les mains sur sa teste, avec exclamation il dit : O que je ne m’y suis pas feint : ô combien j’ay esté hardi à assaillir et à prendre de vos gens, desquels j’ay tant et tant de fois mangé : et autres semblables propos qu’il adjouste. Pour ceste cause aussi, luy dira celuy qu’il a là en teste tout prest pour le massacrer : Toy estant maintenant en nostre puissance seras presentement tué par moy, puis boucané et mangé de tous nous autres. Et bien, respond-il encore (aussi resolu d’estre assommé pour sa nation, que Regulus fut constant à endurer la mort pour sa republique Romaine), mes parens me vengeront aussi. Sur quoy pour monstrer qu’encores que ces nations barbares craignent fort la mort naturelle, neantmoins tels prisonniers s’estimans heureux de mourir ainsi publiquement au milieu de leurs ennemis, ne s’en soucient nullement : j’allegueray cest exemple. M’estant un jour inopinément trouvé en un village de la grande isle, nommée Pirani-jou, où il y avoit une femme prisonniere toute preste d’estre tuée de ceste façon : en m’approchant de elle et pour m’accommoder à son langage, luy disant qu’elle se recommandast à Toupan (car Toupan entre eux ne veut pas dire Dieu, ains le tonnerre) et qu’elle le priast ainsi que je luy enseignerois : pour toute response hochant la teste et se moquant de moy’, dit Que me bailleras-tu, et je feray ainsi que tu dis ? A quoy luy repliquant : Pauvre miserable, il ne te faudra tantost plus rien en ce monde, et partant puis que tu crois l’ame immortelle (ce qu’eux tous, comme je diray au chapitre suyvant, confessent aussi), pense que c’est qu’elle deviendra apres ta mort : mais elle, s’en riant derechef, fut assommée et mourust de ceste façon.