Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/63

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telle viande : et en leschans leurs doigts disent, Yguatou, c’est à dire, il est bon.

Voilà donc ainsi que j’ay veu, comme les sauvages Ameriquains font cuire la chair de leurs prisonniers prins en guerre : assavoir Boucaner, qui est une façon de rostir à nous incognue.

Parquoy, d’autant que bien au long ci-dessus au chapitre dixiesme des Animaux, en parlant du Tapiroussou, j’ay mesme declaré la façon du boucan, à fin d’obvier aux redites, je prie les lecteurs que, pour se le mieux representer, ils y ayent recours. Cependant je refuteray ici l’erreur de ceux qui, comme on peut voir par leurs Cartes universelles, nous ont non seulement representé et peint les sauvages de la terre du Bresil, qui sont ceux dont je parle à present, rostissans la chair des hommes embrochée comme nous faisons les membres des moutons et autres viandes : mais aussi ont feint qu’avec de grands couperets de fer ils les coupoyent sur des bancs, et en pendoyent et mettoyent les pieces en monstre, comme font les bouchers la chair de bœuf par-deçà. Tellement que ces choses n’estans non plus vrayes que le conte de Rabelais touchant Panurge, qui eschappa de la broche tout lardé et à demi cuit, il est aisé à juger que ceux qui font telles Cartes sont ignorans, lesquels n’ont jamais eu cognoissance des choses qu’ils mettent en avant. Pour confirmation de quoy j’adjousteray, qu’outre la façon que j’ay dit que les Bresiliens ont de cuire la chair de leurs prisonniers, encores que j’estois en leur pays ignoroyent-ils tellement nostre façon de rostir, que comme un jour quelques miens compagnons et moy en un village faisions tourner une poule d’Inde, avec d’autres volailles, dans une broche de bois, eux se rians et moquans de nous ne voulurent