Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/64

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jamais croire, les voyans ainsi incessamment remuer qu’elles peussent cuire, jusques à ce que l’experience leur monstra du contraire.

Reprenant donc mon propos, quand la chair d’un prisonnier, ou de plusieurs (car ils en tuent quelquesfois deux ou trois en un jour) est ainsi cuicte, tous ceux qui ont assisté à voir faire le massacre, estans derechef resjouis à l’entour des boucans, sur lesquels avec oeillades et regards furibonds, ils contemplent les pieces et membres de leurs ennemis : quelque grand qu’en soit le nombre chacun, s’il est possible, avant que sortir de là en aura son morceau. Non pas cependant, ainsi qu’on pourroit estimer, qu’ils facent cela ayans esgard à la nourriture : car combien que tous confessent ceste chair humaine estre merveilleusement bonne et delicate, tant y a neantmoins, que plus par vengeance, que pour le goust (horsmis ce que j’ay dit particulierement des vieilles femmes qui en sont si friandes), leur principale intention est, qu’en poursuyvant et rongeant ainsi les morts jusques aux os, ils donnent par ce moyen crainte et espouvantement aux vivans. Et de fait, pour assouvir leurs courages felons, tout ce qui se peut trouver és corps de tels prisonniers, depuis les extremitez des orteils, jusques au nez, oreilles et sommet de la teste, est entierement mangé par eux : j’excepte toutesfois la cervelle à laquelle ils ne touchent point. Et au surplus, nos Toüoupinambaoults reservans les tects par monceaux en leurs villages, comme on voit par deçà les testes de morts és cemetieres, la premiere chose qu’ils font quand les François les vont voir et visiter, c’est qu’en recitant leur vaillance, et par trophée leur monstrant ces tects ainsi descharnez, ils disent qu’ils feront de mesme à tous leurs ennemis. Semblablement ils