Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soyez si bravement defendus, et que maintenant qu’il falloit mourir avec honneur, vous monstriez que vous n’avez pas tant de courage que des femmes ? et de ceste façon furent tuez et mangez à leur mode.

Je pourrois encore amener quelques autres semblables exemples, touchant la cruauté des sauvages envers leurs ennemis, n’estoit qu’il me semble que ce que j’en ay dit est assez pour faire avoir horreur, et dresser à chacun les cheveux en la teste. Neantmoins à fin que ceux qui liront ces choses tant horribles, exercées journellement entre ces nations barbares de la terre du Bresil, pensent aussi un peu de pres à ce qui se fait par deçà parmi nous : je diray en premier lieu sur ceste matiere, que si on considere à bon escient ce que font nos gros usuriers (sucçans le sang et la moëlle, et par consequent mangeans tous en vie, tant de vefves, orphelins et autres pauvres personnes auxquels il vaudroit mieux couper la gorge tout d’un coup, que de les faire ainsi languir) qu’on dira qu’ils sont encores plus cruels que les sauvages dont je parle. Voila aussi pourquoy le Prophete dit, que telles gens escorchent la peau, mangent la chair, rompent et brisent les os du peuple de Dieu, comme s’ils les faisoyent bouillir dans une chaudiere. Davantage, si on veut venir à l’action brutale de mascher et manger reellement (comme on parle) la chair humaine, ne s’en est-il point trouvé en ces regions de par deçà, voire mesmes entre ceux qui portent le titre de Chrestiens, tant en Italie qu’ailleurs, lesquels ne s’estans pas contentez d’avoir fait cruellement mourir leurs ennemis, n’ont peu rassasier leur courage, sinon en mangeans de leur foye et de leur coeur ? Je m’en rapporte aux histoires. Et sans aller plus loin, en la France quoy ? (Je suis François et me fasche de le dire)