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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/89

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perdre leurs gras morceaux) faisoyent le vray serviteur de Dieu Elie, lequel semblablement descouvroit leurs abus : commençans à se cacher de nous, craignoyent mesme de venir ou de coucher és villages où ils sçavoyent que nous estions.

Au reste, quoy que nos Toüoupinambaoults, suyvant ce que j’ay dit au commencement de ce chapitre, et nonobstant toutes les ceremonies qu’ils font, n’adorent par fleschissement de genoux, ou autres façons externes, leurs Caraibes, ni leurs Maracas, ni creatures quelles qu’elles soyent, moins les prient et invoquent : toutesfois pour continuer de dire ce que j’ay apperceu en eux en matiere de religion, j’allegueray encor cest exemple. M’estant une autre fois trouvé avec quelques-uns de nostre nation, en un village nommé Ocarentin, distant deux lieues de Cotina dont j’ay tantost fait mention : comme nous soupions au milieu d’une place, les sauvages du lieu s’estans assemblez pour nous contempler, et non pas pour manger (car s’ils veulent faire honneur à un personnage ils ne prendront pas leur repas avec luy : mesmes les vieillards, bien fiers de nous voir en leur village, nous monstrans tous les signes d’amitié qu’il leur estoit possible) ainsi qu’archers de nos corps, avec chacun en la main l’os du nez d’un poisson, long de deux ou trois pieds, fait en façon de scie, estans à l’entour de nous pour chasser les enfans, ausquels ils disoyent en leur langage : Petites canailles, retirez-vous, car vous n’estes pas dignes de vous approcher de ces gens ici : apres di-je que tout ce peuple, sans nous interrompre un seul mot de nos devis, nous eut laissé souper en paix, il y eut un vieillard qui, ayant observé que nous avions prié Dieu au commencement et à la fin du repas, nous demanda : Que veut dire ceste maniere de faire