Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/95

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question en ta chanson. Ainsi luy declairant le mieux que je peux (car j’estois lors seul François, et en devois trouver deux, comme je fis, au lieu où j’allay coucher) que j’avois, non seulement en general, loué mon Dieu en la beauté et gouvernement de ses creatures, mais qu’aussi en particulier je luy avois attribué cela, que c’estoit luy seul qui nourrissoit tous les hommes et tous les animaux : voire faisoit croistre les arbres, fruicts et plantes qui estoyent par tout le monde universel : et au surplus, que ceste chanson que je venois de dire ayant esté dictée par l’Esprit de ce Dieu magnifique, duquel j’avois celebré le nom, avoit esté premierement chantée il y avoit plus de dix mille lunes (car ainsi content-ils) par un de nos grands Prophetes, lequel l’avoit laissée à la posterité pour en user à mesme fin. Brief, comme je reitere encores icy, que sans couper un propos, ils sont merveilleusement attentifs à ce qu’on leur dit, apres qu’en cheminant l’espace de plus de demie heure luy et les autres eurent ouy ce discours : usans de leur interjection d’esbahissement Teh ! ils dirent, O que vous autres Mairs, c’est à dire François, estes heureux, de sçavoir tant de secrets qui sont tous cachez à nous chetifs et pauvres miserables : tellement que pour me congratuler, me disant, Voila pour ce que tu as bien chanté, il me fit present d’un Agoti qu’il portoit, c’est à dire, d’un petit animal, lequel, avec d’autres, j’ay descrit au chapitre dixiesme. A fin doncques de tant mieux prouver que ces nations de l’Amerique, quelques barbares et cruelles qu’elles soyent envers leurs ennemis, ne sont pas si farouches qu’elles ne considerent bien tout ce qu’on leur dit avec bonne raison, j’ay bien voulu encor faire ceste digression. Et de fait, quant au naturel de l’homme, je maintien qu’ils discourent mieux que ne