Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/94

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toutesfois craignant d’en destourner le vray sens, et qu’on n’estime que je recherche les choses de trop loing, j’en lairray faire l’application à d’autres.

Cependant me ressouvenant encor d’un exemple, qui servira aucunement pour monstrer, si on prenoit peine d’enseigner ces nations des sauvages habitans en la terre du Bresil, qu’ils sont assez dociles pour estre attirez à la cognoissance de Dieu, je le mettray icy en avant. Comme doncques, pour aller querir des vivres et autres choses necessaires, je passay un jour de nostre Isle en terre ferme, suyvi que j’estois de deux de nos sauvages Toüpinenquins, et d’un autre de la nation nommée Oueanen (qui leur est alliée) lequel avec sa femme estoit venu visiter ses amis, et s’en retournoit en son pays : ainsi qu’avec eux je passois à travers d’une grande forest, contemplant en icelle tant de divers arbres, herbes et fleurs verdoyantes et odoriferantes : ensemble oyant le chant d’une infinité d’oyseaux rossignollans parmi ce bois où lors le soleil donnoit, me voyant, di-je, comme convié à louër Dieu par toutes ces choses, ayant d’ailleurs le coeur gay, je me prins à chanter à haute voix le Pseaume 104 : Sus, sus, mon ame, il te faut dire bien, etc., lequel ayant poursuyvi tout au long, mes trois sauvages et la femme qui marchoient derriere moy, y prindrent si grand plaisir (c’est-à-dire au son, car au demeurant ils n’y entendoyent rien) que quand j’eu achevé, l’Oueanen tout esmeu de joye avec une face riante s’advançant me dit, Vrayement tu as merveilleusement bien chanté, mesme ton chant esclatant m’ayant fait ressouvenir de celuy d’une nation qui nous est voisine et alliée, j’ay esté fort joyeux de t’ouir. Mais, me dit-il, nous entendons bien son langage, et non pas le tien : parquoy je te prie de nous dire ce dequoy il a esté