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Page:Jean de Rotrou-Oeuvres Vol.5-1820.djvu/57

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Tu sais, s’il t’en souvient, de quelle résistance
Ma mère en cet amour combattit ta constance ;
Non qu’un si cher parti ne nous fût glorieux,
Mais pour sa répugnance au culte de tes dieux.
De César toutefois la suprême puissance,
Obtint ce triste aveu de son obéissance ;
Ses larmes seulement marquèrent ses douleurs ;
Car qu’est-ce qu’une esclave a de plus que des pleurs ?
Enfin le jour venu que je te fus donnée,
« Va, me dit-elle à part, va, fille infortunée,
Puisqu’il plaît à César ; mais surtout souviens-toi,
D’être fidèle au Dieu dont nous suivons la loi,
De n’adresser qu’à lui tes vœux et tes prières,
De renoncer au jour plutôt qu’à ses lumières,
Et détester autant les dieux de ton époux
Que ses chastes baisers te doivent être doux. »
Au défaut de ma voix mes pleurs lui répondirent.
Tes gens dedans ton char aussitôt me rendirent,
Mais l’esprit si rempli de cette impression,
Qu’à peine eus-je des yeux pour voir ta passion ;
Et qu’il fallut du temps pour ranger ma franchise
Au point où ton mérite à la fin l’a soumise.
L’œil qui voit dans les cœurs clair comme dans les cieux
Sait quelle aversion j’ai depuis pour tes dieux ;
Et depuis notre hymen jamais leur culte impie,
Si tu l’as observé, ne m’a coûté d’hostie ;
Jamais sur leurs autels mes encens n’ont fumé ;
Et lorsque je t’ai vu, de fureur enflammé,
Y faire tant offrir d’innocentes victimes,
J’ai souhaité cent fois de mourir pour tes crimes,
Et cent fois vers le ciel, témoin de mes douleurs,
Poussé pour toi des vœux accompagnés de pleurs.