Page:Jean de Rotrou-Oeuvres Vol.5-1820.djvu/87

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Mais dans toutes les cours cette plainte est commune,
Le mérite bien tard y trouve la fortune ;
Les rois ont ce penser inique et rigoureux,
Que sans nous rien devoir nous devons tout pour eux,
Et que nos vœux, nos soins, nos loisirs, nos personnes,
Sont de légers tributs qui suivent leurs couronnes.
Notre métier surtout, quoique tant admiré,
Est l’art où le mérite est moins considéré.
Mais peut-on qu’en souffrant vaincre un mal sans remède ?
Qui se sait modérer, s’il veut tout lui succède.
Pour obtenir nos fins n’aspirons point si haut ;
À qui le désir manque aucun bien ne défaut.
Si de quelque besoin ta vie est traversée,
Ne nous épargne point, ouvre-nous ta pensée ;
Parle, demande, ordonne, et tous nos biens sont tiens.
Mais quel secours, hélas ! attends-tu des chrétiens ?
Le rigoureux trépas dont César te menace,
Et notre inévitable et commune disgrâce.

GENEST.

Marcelle, avec regret j’espère vainement
De répandre le jour sur votre aveuglement,
Puisque vous me croyez l’âme assez ravalée,
Dans les biens infinis dont le ciel l’a comblée,
Pour tendre à d’autres biens, et pour s’embarrasser,
D’un si peu raisonnable et si lâche penser.
Non, Marcelle, notre art n’est pas d’une importance
À m’en être promis beaucoup de récompense ;
La faveur d’avoir eu des Césars pour témoins,
M’a trop acquis de gloire et trop payé mes soins.
Nos vœux, nos passions, nos veilles et nos peines,
Et tout le sang enfin qui coule dans nos veines,