Page:Jerome - Fanny et ses gens, 1927.djvu/16

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façon de présenter les monstres qui leur donne un petit air léché et fréquentable… tout à fait gentil…

Newte. — Oui, f…-toi de moi, va…

Fanny. — Mais non, mon vieux chou, tu es un vrai copain. Tiens, j’aurais mieux fait de t’épouser, toi. Au moins, on aurait été matchés tous les deux.

Newte. — C’que cette jolie petite bouche peut dire de bêtises !… C’est un bon engagement que je t’ai procuré là, mon petit coco… Tu le sais bien, sans ça, je ne te l’aurais pas laissé signer !

Fanny. — Pauvre vieux ! Tu n’as même pas touché de commission !

Newte. — Les dix pour cent de ton bonheur, mon loup. Mon intérêt, c’est que tu en aies beaucoup.

Fanny. — Oui ? Alors, repasse plus tard. En ce moment, le théâtre ne fait pas le sou…

Elle est mélancolique.

Newte. — Bah ! Bah ! Nous aurons un succès, crois-moi, mon petit gas. Il y a des pièces qui partent lentement… (Il se lève.) Allons, au revoir.

Fanny. — Comment, tu pars ? Tu ne restes pas dîner avec nous ?

Newte. — Pas aujourd’hui, Fanny. Merci.

Fanny. — Oh ! je t’en prie. Si tu ne le fais pas, ils vont croire que je n’ai pas osé t’inviter.

Newte. — Tant mieux ! Qu’ils te croient dominée, terrorisée. Ça n’ira que mieux ! Ah ! quel malheur que tu n’aies aucun sens de la diplomatie !

Fanny, furieuse. — Je déteste la diplomatie ! (Newte rit.) Comment vont les copines ?

Newte. — Le numéro ? En pleine forme ! Tout le lot est à Londres, au Palace, tu sais bien…

Fanny. — Qu’est-ce qu’elles ont dit de mon mariage ?

Newte. — Ça ! Elles en ont parlé, je t’assure. Canada en était malade.

Fanny. — Canada… c’est Gerty ! Gerty qui est si jalouse !

Newte. — Elle l’a été surtout quand elle a su qui tu épousais !

Fanny. — Tu le lui as dit ? Tu as bien fait. Qu’au moins ça ait servi à ça… Qui est-ce qui me remplace ?

Newte. — La nouvelle Irlande. C’est une grande fille blonde, un peu maigre, pas maladroite. Oh ! ça n’est pas toi ! Cette Irlande-là ressemble trop à Australie, C’est un non-sens géographique !

Fanny. — Australie qui entrait troisième par ordre alphabétique après Angleterre qui avait mal au genou droit et Archipel malais qui ressemble à un gros baby. Tout ça, vieux George, tout ça ! (Mélancolie.) Tiens, donne-leur ça de ma part. (Elle se jette à son cou et l’embrasse.) À toutes, George, à toutes, même à Canada !

Newte, ému. — Oui, Fan !

Fanny, à Newte. — Tu reviendras me voir ?

Newte. — Tout le temps, Fan ! Tout le temps ! On ne verra plus que moi ! Et souviens-toi, hein ? Le mot d’ordre est « Diplomatie ». (Ils sont près de la porte.) C’est compris ?

Fanny. — On tâchera ! N’oublie pas d’embrasser les copines.

Newte prend Fanny par la taille et la soulève à bout de bras. — Sois tranquille ! Au revoir !

Mrs Bennett est entrée.

Fanny, femme du monde, reconduit Newte. — Au revoir, cher ami…

Fanny, quand Newte est sorti, à Mrs Bennett. — C’est peut-être pas comme ça qu’on prend congé des visiteurs ?

Mrs Bennett, sans s’arrêter à l’ironie. — Nous espérons tous qu’avec du temps et de la patience nous arriverons à remédier aux effets de cette déplorable éducation. (Componctueuse.) Soyez bien persuadée que nous ne songeons qu’à vous.

Fanny. — Voilà ! Justement ! C’est tout à fait mon sentiment. Vous vous surmenez. Vous en faites trop pour moi… Et vous n’êtes pas déjà en si bonne santé, ma tante. Vous verrez : vous paierez ça d’un bon petit ébranlement nerveux ! Ce qu’il vous faut à tous, c’est un bon grand mois… ou deux… au bord de la mer… ou… ou en Écosse…

Mrs Bennett. — Votre sollicitude à notre égard s’exprimerait de meilleure façon par un souci plus grand de vos devoirs.

Fanny, voyant entrer Bennett, Honoria et Ernest. — Allons bon ! Qu’est-ce que j’ai encore fait ! V’là toute la troupe !

Bennett, à Ernest. — Fermez cette porte. (À Fanny.) Asseyez-vous. (Fanny obéit. La scène prend une allure de tribunal avec Bennett président, Ernest accusé, Fanny complice et les autres Bennett partie civile.) Reportez votre esprit à la minute où, l’indicateur des chemins de fer en mains, vous vous disposiez avec l’aide de votre cousin Ernest à courir les routes, sans être vue, à la rencontre d’une personne que vous aviez appelée par dépêche à une heure où, précisément, vous saviez que votre mari serait absent.

Fanny. — On ne peut rien vous cacher !

Bennett. — Comme votre cousin vous rappelait qu’on ne peut sortir de la maison sans passer devant la demeure du jardinier, son père et votre oncle… Jusqu’ici est-ce exact ?

Fanny. — Scrupuleusement.

Bennett. — À ce moment… Oh ! je n’ai pas relevé la chose immédiatement, car je voulais douter de mes propres oreilles ! Hélas ! Ernest, — où êtes-vous, monsieur ? — Ernest, pressé par moi, a avoué lui-même avoir entendu ! Vous avez employé une expression…

Fanny. — Oh ! quelle histoire ! Quoi ? J’ai dit : « Crotte ! » (Les deux femmes frissonnent.) Je suis navrée de vous mettre dans cet état. Si vous connaissiez mieux la belle société, vous sauriez que des dames tout à fait bien, vraiment, quand elles sont un peu énervées, disent très facilement « crotte ».

Mrs Bennett, interrompant dans un cri. — Elle croit se justifier !

Bennett. — Vous voudrez bien admettre que je suis meilleur juge que vous en ce qui concerne les expressions que les dames de la haute société peuvent se permettre en de certaines circonstances ! (Avec effort.) Quant à cet homme… ce… Newte…

Fanny. — Cet homme ! Mais il a agi envers vous comme le meilleur des amis ! S’il n’était pas venu, c’est une tout autre chanson que vous entendriez ! Car je vous le jure, tous les vingt-trois que vous êtes…

Mrs Bennett. — Quelle chanson, s’il vous plaît ?

Fanny. — Vous le saurez quand il en sera temps.

Mrs Bennett. — Il n’y a rien à tirer de cette fille.

Bennett, calmant sa femme d’un geste. — Nous ne voulons pas désespérer de votre amendement. (Il dépose un petit livre sur le bureau.) J’ai là-dedans marqué