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(Elle l’embrasse. Au Docteur.) Emmenez-les tous, docteur. Ils ne s’en iront jamais sans cela. Et dites-leur… expliquez-leur que… que ce n’est pas tout à fait ma faute et que… enfin vous saurez mieux que moi ! (À Newte.) George, mon pauvre vieux, tu n’as plus de train. Tu vas passer la nuit ici. Je te verrai demain matin. Demain matin tous. Demain, il fera jour.

Tous sortent. Newte s’est approché de Fanny. On sent qu’il voudrait lui faire un long speech. Mais un geste de Fanny l’en empêche.

Newte, bougon. — Bonne nuit, Fanny !

Il sort.

Fanny, seule, va au portrait de lady Constance. — Madame, j’ai bien compris, n’est-ce pas ? C’est bien ça que vous vouliez que je fasse ? C’est bien ça ? Alors, pourquoi ne l’avez-vous pas dit tout de suite ?

Elle tombe en pleurant sur la table.


RIDEAU


ACTE III


Même décor. Stores baissés. La scène est sombre.
La cheminée pleine de cendres. C’est le matin de bonne heure.


La porte s’ouvre doucement. Newte entre. Il va à la fenêtre en prenant les maladroites et bruyantes précautions d’usage pour ne pas faire de bruit. Il ouvre la fenêtre, lève les stores. Le soleil entre dans la pièce. Newte sort. Il rentre presque aussitôt apportant sur un plateau ce qui est nécessaire au déjeuner. Il sifflote. Ayant posé son plateau sur la table, il enlève son veston et se met à genoux pour faire du feu. Entrée des Misses Wethrell : robes du matin, bonnets de dentelle, ridicules, identiques et charmantes. Elles avancent sans voir Newte caché par l’écran de la cheminée. Toutefois elles aperçoivent le veston sur une chaise et demeurent pétrifiées comme Robinson devant les traces de pas. Newte se lève ; elles poussent un léger cri et se disposent à battre en retraite.

Newte. — Pas besoin de vous sauver, chères demoiselles. Ça n’est que moi…

L’Aînée. — C’est… ah !

Elle s’arrête.

La Cadette. — Monsieur Newte ! Ah !

Elles respirent.

Newte. — Quand on a voyagé en Pullman au travers de l’Amérique, chères demoiselles, avec une troupe d’opérette, on peut tout voir ! Vous voulez votre déjeuner, n’est-ce pas ? Je l’ai deviné. Alors nous allons le prendre dans dix minutes : thé, toasts, porridge, eggs and bacon… etc.

L’Aînée. — Nous vous sommes bien obligées.

Newte. — J’ai une précieuse expérience du camping ! Puis… on va pouvoir causer tranquillement de ces événements, tous les trois, sans que personne nous dérange.

Il les a amenées à la table, elles se laissent faire.

L’Aînée. — Nous n’avons pas dormi de la nuit…

Newte, il fait sa cuisine. — Personne, miss Wethrell. Personne… Pas fermé l’œil une seconde.

La Cadette. — Nous désirons parler à Vernon dès qu’il sera debout.

L’Aînée. — Avant qu’il revoie Fanny…

La Cadette. — Nous avons quelque chose à lui dire.

L’Aînée. — Quelque chose de très important.

Newte. — Moi aussi ! Moi aussi ! Mais, savourez-moi d’abord cette tasse de thé avant toutes choses. Faut calmer nos nerfs.

La Cadette. — Vernon n’est pas levé ? (Newte fait signe qu’il l’ignore.) Il faut absolument que nous lui parlions avant qu’il voie Fanny.

Newte. — Ça sera fait. Ça sera fait. (Il verse le thé.) Je suppose qu’ils dorment encore tous deux.

La Cadette. — Pauvre petit ! (Le Docteur Freemantle entre.) Si seulement elle n’avait pas…

Le Docteur. — J’étais bien sûr d’avoir entendu parler.

Newte. — Chut !

Il montre les deux portes.

La Cadette. — Que c’est aimable, docteur, de ne pas nous avoir abandonnées hier soir !

L’Aînée. — Nous étions si bouleversées !

La Cadette. — C’est là qu’on aperçoit le prix de l’amitié, cher docteur.

L’Aînée. — Avez-vous bien dormi, au moins ?

Le Docteur. — On ne peut mieux ! Je n’ai pas fermé l’œil, bien entendu.

Les Misses. — Oh !

Newte. — Chut !

Le Docteur. — Mais je serai tout à fait confortable quand j’aurai pu me raser.

Newte. — Ça ! J’allais le dire pour mon compte… (Le pot au lait à la main.) Du lait, chères demoiselles ? Voilà ! Et du sucre.

Le Docteur s’est assis. — Les Bennett sont partis ?

Newte. — Ma foi, ils en ont été priés dans les règles, hé !

La Cadette, pleurnichant un peu. — Mon Dieu ! Que nous sommes folles et sottes ! Nous n’avons jamais rien appris à faire par nous-mêmes !

L’Aînée. — Nous ne savons même pas où l’on range nos objets personnels !

Le Docteur. — Ces diables de Bennett ! Ils ne peuvent pas être partis d’un bloc tous les vingt-trois ! Aurait fallu un autocar ! (À Newte.) Vous n’en avez pas vu un seul ? Ni vous, misses ?

Newte. — En bas, je n’ai pas rencontré une âme. Le désert. Le désert sans ses hôtes habituels…

Le Docteur. — Ils sont sûrement quelque part. Peut-être pas encore levés. Il est à peine sept heures.

La Cadette. — Mais ils ont été remerciés ! On ne peut pas leur demander quoi que ce soit !

L’Aînée. — Cela ne serait pas digne !