Page:Jevons - La monnaie et le mécanisme de l’échange.djvu/73

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d’une loi, ou principe général sur la circulation de la monnaie, loi que M. Macleod a nommée très justement la loi ou le théorème de Gresham, d’après sir Thomas Gresham qui en reconnut l’exactitude il y a trois siècles. Cette loi, en quelques mots, consiste en ce que la mauvaise monnaie chasse la bonne, mais que la bonne monnaie ne peut chasser la mauvaise. À première vue il semble qu’il y ait quelque chose de paradoxal dans le fait que, lorsque de belles monnaies nouvelles, pesant le poids, sont émises, le public continue à faire circuler de préférence les anciennes qui ont perdu de leur poids et de leur valeur. C’est ainsi que souvent des efforts louables pour la réforme de la monnaie ont été déçus, avec de grandes pertes pour les gouvernements, et au grand embarras des hommes d’état qui n’avaient pas étudié les principes de la science monétaire.

En toute autre circonstance, chacun est amené par l’intérêt personnel à choisir le bon et à rejeter le mauvais ; mais lorsqu’il s’agit de monnaie, il semble que par une sorte de paradoxe on garde la mauvaise pour se défaire de la bonne L’explication est très-simple. Le public ordinaire ne rejette pas la bonne ; mais fait circuler indistinctement les pièces lourdes ou légères, parce qu’il n’emploie la monnaie que comme moyen d’échange. Ce sont ceux qui veulent fondre, exporter, accumuler ou dissoudre les pièces de l’état, ou les convenir en bijoux ou en feuilles d’or, qui choisissent soigneusement dans ce dessein les nouvelles pièces plus pesantes.

La loi de Gresham, à elle seule, nous fournit une réfutation suffisante de la doctrine de M. Herbert Spencer mentionnée plus haut (p. 53), suivant laquelle l’industrie privée doit être chargée de produire la monnaie. Quand une personne a besoin de meubles, de livres ou de vêtements, on peut se fier à elle pour choisir les articles les meilleurs, parce que c’est elle qui doit les garder et s’en servir ; mais pour l’argent c’est tout-à-fait le contraire. La monnaie est faite pour circuler. On a besoin de monnaie, non pas pour la garder dans sa poche, mais pour la faire passer dans la poche du voisin ; et moins la monnaie que l’on fait accepter au voisin est bonne, plus grand est le profit qu’on fait soi même. Ainsi