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le robinson suisse.

traversé une plaine assez large, nous arrivâmes aux bambous et aux cannes à sucre. Le paysage, de ce côté, était ravissant : à nos pieds s’étendait un large golfe ; et, du haut du promontoire où nous nous trouvions, notre vue dominait au loin sur la mer immense. Nous fîmes halte dans ce lieu pour prendre quelques rafraîchissements, et nos bêtes de somme furent mises à paître en liberté. Je donnai ensuite le signal du travail. Fritz et Jack, chacun une hache à la ceinture, montèrent sur des palmiers pour nous abattre des noix de coco. Comme je prévoyais qu’ils ne seraient pas assez forts pour arriver sans secours à une si grande hauteur, je leur attachai aux genoux des morceaux de peau de requin, pour les empêcher de glisser, et je leur mis aux jambes une corde lâche qui entourait le tronc ; en la faisant monter avec eux, ils pouvaient, à la manière des nègres et des sauvages, s’asseoir dessus sans crainte.

Quand ils eurent atteint la couronne de feuilles, ils nous saluèrent par des cris joyeux et firent tomber une grêle de noix de coco ; à peine eûmes-nous le temps de nous garer pour n’en pas recevoir sur la tête ; notre singe grimpa sur le même arbre et leur offrit son concours empressé ; seulement, il ne tarda pas à redescendre, tenant une noix qu’il se mit à gruger avec des grimaces de contentement.

Pour Ernest, mollement couché sur l’herbe, il regardait ses deux frères travailler, sans songer à leur venir en aide. Quand Fritz fut redescendu, il s’avança vers le naturaliste contemplatif, et, le saluant avec gravité :

« Monsieur voudra bien, lui dit-il, se donner la peine de prendre cette noix, que je lui offre en récompense de ses fatigues. »

Ernest sentit l’ironie de ces paroles moqueuses, se leva, et, m’ayant prié de lui scier une noix en deux par le haut et d’y faire un trou pour y passer un cordon ; il en prit une moitié, l’attacha à sa boutonnière ; puis, avec un sourire malicieux sur les lèvres, l’air grave et solennel, il nous parla ainsi :