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le robinson suisse.

là tranquilles, nous regardant seulement d’un air étonné, sans songer à fuir ni à nous attaquer ; ceux qui étaient couchés se levaient avec lenteur.

Nous revînmes un peu de notre peur et préparâmes nos armes, bien décidés à ne nous en servir que pour notre défense : c’eût été folie d’attaquer ces animaux si terribles, et qu’un coup de feu suffit pour mettre en fureur. Nous nous disposâmes donc à rebrousser chemin, quand, à mon grand regret, Turc et Bill nous rejoignirent. Les buffles, les prenant pour des chacals ou pour des loups, mugirent avec force, puis bondirent, frappant la terre de leurs pieds et de leurs cornes, soulevant autour d’eux un nuage de poussière. Malgré nos efforts pour les retenir, Turc et Bill se précipitèrent au milieu du troupeau, saisirent par les oreilles un jeune buffle et l’entraînèrent de notre côté. Le combat était engagé, nous ne pouvions laisser nos chiens sans secours ; nous fîmes feu tous deux en même temps : le bruit de nos armes produisit sur eux un effet terrible ; ils s’enfuirent avec rapidité. Une femelle seule, très-probablement la mère du buffletin, voulut nous tenir tête. Je m’avançai vers elle, lui tirai, presque à bout portant, mon second coup de fusil et un coup de pistolet, et elle tomba tuée roide.

Alors seulement nous commençâmes à respirer. Je louai Jack du sang-froid qu’il avait montré en restant calme et silencieux au lieu de pousser des cris inutiles et de vains gémissements. Je lui fis remarquer combien il est important, dans les dangers extrêmes, de ne pas perdre la tête, de conserver sa présence d’esprit même devant la mort. Je n’avais pas le temps de lui faire de trop longues réflexions, car il fallait venir en aide à nos chiens, qui avaient bien de la peine à retenir le buffletin. Comment nous y prendre ? Faire lâcher prise aux dogues et le saisir nous-mêmes par les cornes eût été téméraire. Le tuer d’un coup de pistolet ? Je tenais à le conserver vivant pour remplacer notre âne, que je n’espérais phis guère retrouver. Jack me tira d’embarras.