Page:Johann David Wyss - Le Robinson suisse (1861).djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
le robinson suisse.

moi. — Tu t’excuses précisément à la manière des ivrognes, qui boivent avec excès sous prétexte qu’ils ont soif et qu’ils trouvent le vin bon ; c’est ainsi qu’ils dépensent tout leur argent et perdent la raison et la santé.

fritz. — Puis-je prendre quelques-unes de ces cannes pour ma mère et mes frères ?

moi. — Oui. Mais prends-en seulement autant que tes forces te permettront d’en porter ; ne fais pas un dégât inutile des biens que Dieu t’offre. »

Nonobstant mon avis, ayant coupé une douzaine des plus grosses cannes, il les dépouilla de leurs feuilles, les attacha en faisceau et les mit sous son bras. C’était encore un fardeau assez lourd. Nous arrivâmes enfin au bois de palmiers, où nous fîmes halte pour prendre un léger repos. Tout à coup un grand nombre de singes, effrayés par notre présence et par les aboiements de Turc, sautèrent d’arbre en arbre autour de nous, faisant d’horribles grimaces, poussant des cris aigus et sauvages. Déjà Fritz les ajustait pour les tirer ; je détournai le canon de son fusil. « Pourquoi, lui dis-je, veux-tu tuer ces pauvres bêtes ?

fritz. — Les singes sont des animaux malfaisants. Regardez comme ils nous menacent. Oh ! s’ils pouvaient nous mettre en pièces, ils le feraient volontiers.

moi. — Ils ont bien raison d’être fâchés contre nous : nous avons troublé leur solitude et envahi leur domaine. Souviens-toi, mon fils, que tant qu’une bête ne nous nuit pas et que sa mort n’est pas utile à la conservation de notre vie, nous n’avons pas le droit de la tuer, ni même de la tourmenter pour satisfaire un caprice ou une vengeance insensés et cruels.

fritz. — Mais, enfin, un singe, c’est aussi une pièce de gibier.

moi. — Pauvre gibier ! Tiens, laissons-leur la vie et qu’ils nous donnent des noix de coco.

moi. — Comment ?