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le robinson suisse.

« J’avais envie, continua Fritz, d’essayer mon adresse sur l’une de ces panthères, et je pensais que leur peau ferait un beau tapis pour une de nos tables ; mais je jugeai qu’il serait par trop imprudent à moi seul d’aller attaquer ces terribles adversaires. En ce moment, du reste, mon attention fut distraite par un bruit subit partant du fleuve. À deux portées de fusil devant moi, dans un endroit un peu marécageux, je vis le lac s’agiter tout à coup et bouillonner, comme si une source d’eau thermale eût voulu se faire jour, et, un instant après, je vis un énorme animal d’un brun foncé qui sortait lentement sa tête à la surface. Il me regarda une minute, et, en même temps, il poussa comme un hennissement : sa gueule entr’ouverte me laissa voir une double rangée de dents effrayantes qui sortaient des gencives comme des chevaux de frise. Cette vue, je l’avoue, me glaça de terreur, et je me mis à prendre la fuite de toute la vitesse de mes rames en descendant le courant du fleuve. Je n’osai même me retourner qu’après avoir fait assez de chemin pour être hors de la portée du monstre. Je repris, en passant, le radeau, que j’avais laissé dans une petite anse, près du rivage, avant de m’aventurer plus loin dans le fleuve, et je revins, toujours tremblant, par le chemin le plus direct. Pour l’instant, j’en avais assez des découvertes. Je m’étais senti tout à coup en présence d’ennemis trop redoutables pour les attaquer étant seul et sans même avoir un des chiens avec moi. »

Tel fut en abrégé le récit de Fritz, qui ne laissa pas que de me suggérer de nombreuses réflexions. Nous avions évidemment dans le voisinage des hôtes trop puissants et trop nombreux pour espérer de les détruire ; nous ne pouvions que tâcher de leur interdire l’entrée de nos domaines, et, à ce sujet, je m’applaudis de nouveau d’avoir passé tant de temps à faire des fortifications qui, au moins, nous mettraient désormais, selon mon espoir, à l’abri d’une invasion d’éléphants ou de bêtes féroces. Quant au monstre qui avait