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le robinson suisse.

et nous entonnâmes à tue-tête une chanson dans les paroles de laquelle, certes, aucun Européen n’aurait reconnu un langage civilisé. Le capitaine et quelques personnes qui se montrèrent auprès de lui commencèrent alors à faire attention à nous ; ils secouèrent des mouchoirs blancs et ouvrirent les mains, comme pour nous faire voir qu’ils n’étaient pas armés. Comme nous hésitions encore à nous rendre à son invitation, le capitaine prit le porte-voix et nous demanda qui nous étions, d’où nous venions et comment s’appelait cette côte. Je répondis à plusieurs reprises, aussi haut qu’il me fut possible : English men, good men ! sans entrer dans plus de détails et en tenant toujours les yeux attachés sur le navire.

Les hommes qui entouraient le capitaine le traitaient avec beaucoup de respect, et nous ne voyions rien qui indiquât du désordre ou de l’ivresse. On nous montra du drap rouge, des haches, des clous et autres objets servant au commerce d’échange avec les sauvages. En réponse, je leur faisais voir nos harpons, comme pour dire que nous n’avions rien à leur offrir. À la fin ils nous demandèrent des pommes de terre, des noix de coco, des figues et autres fruits, à quoi je répondis : « Yes, yes, much, much ! » et, comme je voyais que Fritz commençait à avoir de la peine à garder son sérieux, je l’engageai à reprendre au plus tôt le large, ce que nous fîmes sur-le-champ ; et, quand nous fûmes assez éloignés pour que l’on ne pût plus nous voir, nous nous livrâmes à toute notre gaieté et à la joie que nous éprouvions de nous retrouver de nouveau parmi les hommes. En arrivant dans la baie du Salut, nous déchargeâmes nos fusils et nos pistolets, signal convenu pour annoncer notre succès à nos amis, qui nous répondirent, de leur côté, par quelques décharges d’armes à feu, après quoi nous courûmes nous jeter dans les bras les uns des autres.

Quand nous eûmes répondu aux premières questions et satisfait à la première curiosité, nous tînmes conseil sur ce qu’il fallait faire, et nous nous décidâmes à nous embarquer