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Page:John Ruskin par Frédéric Harrison.djvu/165

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cèrent sa tendance naturelle à la mélancolie et on en trouve surtout la trace dans Sesame and Lilies. Il écrivait à sa mère en 1867 : « Je possède un secret, celui de tirer de toutes choses des motifs de tristesse au lieu de motifs de joie ». A Eliot Norton, il écrivait de Suisse : « La solitude est grande, bien grande, la paix que je ressens maintenant est pareille à celle d’un homme enseveli sous le gazon dans un champ de bataille humide de sang. » « Je ressemble à Swift », écrit-il en 1869, et combien ces mots sont vrais et tristes ! Et cet étrange fragment d’autobiographie (Sésame, préface, § 21) se termine ainsi : « Par mon caractère, tel que l’ont fait la nature et les événements, par toutes mes pensées sur les choses et sur les hommes, c’est avec Swift que je sympathise le plus. » — Étrange rapprochement ! Singulières coïncidences ! Le plus sombre des écrivains anglais en face du maître de la prose la plus colorée, le plus cynique des hommes s’accordant avec le plus idéaliste faiseur d’utopies, le plus impur et le plus chaste de tous les écrivains, le politicien le plus avisé et le moins pratique des rêveurs, le plus amer des colériques et le sentimental le plus tendre ! — Et pourtant que d’analogies dans leurs caractères et dans les circonstances de leur vie ! — Tous les deux, esprits solitaires, doués du génie du sarcasme, bouillonnants d’indignation en face des