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rentine n’a point encore oublié le langage des cours. Mais que peuvent avoir à échanger ceux qui ont franchi ces sombres rivages, si ce n’est des angoisses et des regrets ?

Machiavel.

Est-ce le philosophe, est-ce l’homme d’État qui parle ainsi ? Qu’importe la mort pour ceux qui ont vécu par la pensée, puisque la pensée ne meurt pas ? Je ne connais pas, quant à moi, de condition plus tolérable que celle qui nous est faite ici jusqu’au jour du jugement dernier. Être délivré des soins et des soucis de la vie matérielle, vivre dans le domaine de la raison pure, pouvoir s’entretenir avec les grands hommes qui ont rempli l’univers du bruit de leur nom ; suivre de loin les révolutions des États, la chute et la transformation des empires, méditer sur leurs constitutions nouvelles, sur les changements apportés dans les mœurs et dans les idées des peuples de l’Europe, sur les progrès de leur civilisation, dans la politique, dans les arts, dans l’industrie, comme dans la sphère des idées philosophiques, quel théâtre pour la pensée ! Que de sujets d’étonnement ! que de points de vue nouveaux ! Que de révélations inouïes ! Que de merveilles, s’il faut en croire les ombres qui descendent ici ! La mort est pour nous comme une retraite profonde où nous achevons de recueillir les leçons de l’histoire et les titres de l’humanité. Le néant lui-même n’a pu briser tous les