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liens qui nous rattachent à la terre, car la postérité s’entretient encore de ceux qui, comme vous, ont imprimé de grands mouvements à l’esprit humain. Vos principes politiques règnent, à l’heure qu’il est, sur près de la moitié de l’Europe ; et si quelqu’un peut être affranchi de la crainte en effectuant le sombre passage qui conduit à l’enfer ou au ciel, qui le peut mieux que celui qui se présente avec des titres de gloire si purs devant la justice éternelle ?

Montesquieu.

Vous ne parlez point de vous, Machiavel ; c’est trop de modestie, quand on laisse après soi l’immense renommée de l’auteur du Traité du Prince.

Machiavel.

Je crois comprendre l’ironie qui se cache sous vos paroles. Le grand publiciste français me jugerait-il donc comme la foule qui ne connaît de moi que mon nom et un aveugle préjugé ? Ce livre m’a fait une renommée fatale, je le sais : il m’a rendu responsable de toutes les tyrannies ; il m’a attiré la malédiction des peuples qui ont personnifié en moi leur haine pour le despotisme ; il a empoisonné mes derniers jours, et la réprobation de la postérité semble m’avoir suivi jusqu’ici. Qu’ai-je fait pourtant ? Pendant quinze ans j’ai servi ma patrie qui était une République ; j’ai conspiré pour son indépendance, et je l’ai défendue sans