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Je puis gager qu’au premier bruit de ces libertés, il s’élèvera autour de moi des rumeurs d’épouvante. Mes ministres, mes conseillers s’écrieront que j’abandonne le gouvernail, que tout est perdu. On me conjurera, au nom du salut de l’État, au nom du pays, de n’en rien faire ; le peuple dira : à quoi songe-t-il ? son génie baisse ; les indifférents diront : le voilà à bout ; les haineux diront : Il est mort.

Montesquieu.

Et ils auront tous raison, car un publiciste moderne[1] a dit avec une grande vérité : « Veut-on ravir aux hommes leurs droits ? il ne faut rien faire à demi. Ce qu’on leur laisse, leur sert à reconquérir ce qu’on leur enlève. La main qui reste libre dégage l’autre de ses fers. »

Machiavel.

C’est très-bien pensé ; c’est très-vrai ; je sais que je m’expose beaucoup. Vous voyez bien que l’on est injuste envers moi, que j’aime plus la liberté qu’on ne le dit. Vous m’avez demandé tout à l’heure si j’avais de l’abnégation, si je saurais me sacrifier pour mes peuples, descendre du trône au besoin : vous avez maintenant ma réponse, j’en puis descendre par le martyre.

Montesquieu.

Vous êtes bien attendri. Quelles libertés rendez-vous ?

  1. Benjamin Constant. (Note de l’éditeur.)