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LA REVISION


d’un autre va gâter pour lui la réparation, la joie de la victoire. Si toute la justice lui avait été rendue, il serait très probablement demeuré dans l’armée, ambitieux comme il l’avait été, repris par la belle vie active et forte. Maintenant, sa résolution est formelle, obstinée : il ne restera qu’un an au poste qui lui sera assigné, puis prendra sa retraite[1]. Accueil empressé des camarades, bienveillance des chefs, instances des amis, celles de Ranc et de Monod comme les miennes, rien n’y fera. Sa dignité lui paraîtra en jeu ; après tant de souffrances noblement supportées, il ne voudra pas d’une situation diminuée, inférieure à celle qui aurait été la sienne s’il n’avait pas été condamné pour le crime d’un autre. Noblesse et misère du métier militaire : ce rang, ce galon de plus, c’est pour cela qu’on se fait tuer.

André, déjà, avait voulu réintégrer Picquart dans l’armée et attacher son nom à cet acte de justice. Il n’y avait renoncé qu’à regret. Comme une loi seule pouvait rendre à Picquart, officier en réforme, son rang et lui conférer le grade de colonel, Waldeck-Rousseau avait arrêté André au premier mot, redoutant d’orageux débats[2] ; puis Combes, qui avait consenti au moment où il avait formé son ministère, était revenu sur sa

  1. Il le dit au président de la République, le 25 juillet, quand je le menai à l’Élysée. Picquart, devenu ministre de la Guerre sous Clemenceau, convint de l’injustice, mais refusa de présenter une loi qui aurait corrigé celle du 13 juillet. Une proposition d’initiative parlementaire risquait fort d’être repoussée. Dreyfus prit sa retraite le 14 juillet 1906. — André avait écrit à Picquart, « lui indiquant, avec la plus extrême discrétion, l’injustice dont Dreyfus pouvait se croire victime et suppliant le ministre d’ajourner l’acceptation de sa demande de mise à la retraite ». (André, dans le Censeur du 7 mars 1908.) La lettre d’André resta sans réponse. Picquart ne répondit pas davantage à une lettre que je lui adressai dans le même sens.
  2. André, Cinq ans de Ministère, 236.
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