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L’AMNISTIE

Esterhazy avait-il en sa possession d’autres pièces que ces quelques billets de Du Paty et d’Henry ? Il le donna à entendre, mais rien ne le prouve.

Waldeck-Rousseau fut persuadé qu’il n’avait rien de plus ; par conséquent, il pouvait bien continuer à crier si cela lui plaisait, mais il n’était pas en son pouvoir de « rouvrir l’Affaire », comme il en menaçait, par un nouveau scandale.

Quand Esterhazy comprit qu’il avait été joué ou, pis encore, qu’il s’était joué lui-même, il éclata, lança contre Waldeck-Rousseau une furieuse imprécation :


Je me déclare coupable, s’écrie-t-il, j’ai des complices, je vous somme de me poursuivre et de poursuivre tous les responsables, et vous n’en faites rien ! Comment ! vous m’arrachez mes épaulettes et vous les laisseriez sur le dos de tous ces gens ! Comment ! vous me faites voler ma solde et vous leur laisseriez leurs traitements ! Comment ! vous m’arrachez mon nom et vous les laisseriez honorés ! Non, non, pas de ça… « Il n’y a rien », dit votre Garde des Sceaux ; et je vous ai montré cependant, vous m’avez forcé à montrer que le faux et le crime, le vol et le mensonge, sont, avec les pires lâchetés, les moyens d’action de l’armée… Ils se sont dit, ces généraux, parce qu’ils sont tous lâches et incapables de me comprendre, que, vieux, fatigué, malade, sans pain, moi, l’homme habitué à la vie aisée et facile, je ne résisterais pas, et que, plus ils me frapperaient, plus ils m’anéantiraient… Ils ne me connaissent pas et vous ne me connaissez pas… Je suis prêt à tout, je ne reculerai devant rien, j’irai en France, devant les juges serviles, provoquer et entendre les témoins parjures, jeter les vérités de honte à la face de ces soldats abjects, et, ainsi, du fond de la boue où vous me plongez, je serai le grain de sable qui fait sauter la chaudière, le noyau durci qui fait éclater la meule[1].


  1. Lettres des 26 mars, 9 et 17 avril 1899.