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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


bien plus, « cédant à leurs besoins professionnels », ils l’ont « entraîné dans des spéculations où il ne connaissait rien, et l’ont ruiné à fond[1] ». D’autre part, les siens lui ont fait un crime d’avoir traîné son nom dans ces histoires. Son beau-père, vieux gentilhomme imbécile, qui ne s’occupe que de blason et « parle couramment de bâtonner les vilains », bourré de préjugés « dignes à peine d’un de ses ancêtres du temps de Louis XIII », et la marquise, « d’un bigotisme inintelligent et passionné », l’ont mis à la porte, après une vive discussion, « renvoyé au ghetto[2] ». N’a-t-il pas eu l’audace de leur dire « qu’il met à mille pieds au-dessus du plus illustre gentilhomme couard (c’était son beau-frère) le dernier des Juifs qui se bat pour sa foi, l’un étant un j…-f…[3] et l’autre un brave homme » ? De cette dispute, « sa pauvre femme a eu le plus grand chagrin » et en est tombée malade. Enfin, sa tante par alliance, Mlle de M…, vieille fille très dévote, est morte en le déshéritant ; son beau-frère, Jacques de Nettancourt, ne l’a même pas invité à son mariage ; et son oncle maternel de Beauval a refusé de lui venir en aide. Et il exhibait la lettre, d’une belle morgue d’aristocrate : « Mon cher neveu, je ne t’ai point dissimulé ma très vive réprobation, lorsque tu t’es fait le champion de la bande juive. Ce n’était pas à toi de défendre une pareille cause. Pour moi, chrétien, qui crois que Dieu

  1. Lettre à Grenier.
  2. Lettre à Maurice Weil, de juin 1894. J’en ai sous les yeux le fac-similé photographique. — La lettre fut lue au procès d’Esterhazy, audience du 10 janvier 1898. — De même, dans sa lettre à Grenier : « J’ai été renvoyé à ce qu’un oncle de ma femme, le prince de Bauffremont, appelle ma synagogue et mon ghetto. » Il attribue, indifféremment, aux uns et aux autres, les formules qu’il invente lui-même.
  3. « Mon beau-frère a eu une petite histoire avec Courcy où il n’a pas été brillant, tant s’en faut. »