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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


gédié, importun, trop pressé de reprendre son service, peut attendre.

Esterhazy, d’autant plus, s’impatiente. Quelque nouveau tracas d’argent le presse. En vain lui remplit-on l’escarcelle. Tout l’argent qu’il a (l’aumône du rabbin comme la dot de sa femme ou le prix des trahisons) lui file entre les doigts[1].

Ne peut-il attendre le retour prochain de l’Allemand ? Ce serait sage ; il se le dit peut-être, mais passe outre et écrit sa lettre. Il envoie à Schwarzkoppen, en même temps, mais sous pli spécial, les renseignements recueillis à Châlons : sur le frein du 120, les troupes de couverture, les formations de l’artillerie et Madagascar. Non pas des documents, mais des notes, ainsi qu’il précise lui-même, autographes ou recopiées par son secrétaire Mulot[2]. S’il les avait mises sous le même couvert, qui eût été bien gros, il n’aurait pas eu besoin de les énumérer. S’il les énumère, c’est pour le contrôle : d’une part, le bordereau ; de l’autre, les notes.

Pour le manuel de tir, — nullement confidentiel, autographié à plus de 3.000 exemplaires, qu’on vend quatre

  1. Interrogatoire du 7 déc. 1897 devant Ravary : « Je me suis marié, il y a dix ans, avec une fortune, entre ma femme et moi, de plus de 300.000 francs ; petit à petit, j’ai mangé la plus grande partie de cette fortune, billet de mille par billet de mille. » (Cass., II, 113.)
  2. Mulot dépose « qu’il n’a pas souvenance d’avoir rien copié concernant le canon de 120 ni les formations d’artillerie ; il n’a pas davantage eu sous les yeux des notes relatives à Madagascar ni aux troupes de couverture. » (Cass., I, 781.) Il est fort possible qu’Esterhazy ait écrit lui-même les notes du bordereau. D’autre part, Mulot est de ces témoins dont les souvenirs se précisent en raison du temps écoulé, sous l’influence de l’opinion ambiante. Il paraît certain qu’il n’a pas copié le manuel, ainsi qu’il le déclara dès le premier jour. Pour le reste, sa mémoire est tantôt flottante, tantôt factice. En fait, il copiait ce que son chef lui disait de copier, machinalement et sans y penser.