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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


1er novembre, pour y lire l’article où la Libre Parole révélait le nom de Dreyfus, et rentra à Évreux.

L’avant-veille, la première note du journal de Drumont, qui annonçait, en termes mystérieux, l’arrestation d’un traître, avait inquiété Schwarzkoppen. Il fit part de ses craintes à Panizzardi. Le nom de Dreyfus le rassura. Mais qui était ce Dreyfus ?

On ignore si Schwarzkoppen essaya de se renseigner auprès d’Esterhazy. À son ambassadeur, il dit seulement qu’il n’avait jamais eu avec Dreyfus aucun rapport. L’idée que le Juif était accusé pour le crime de son espion ne lui vint pas. S’il avait confessé à Munster qu’il avait lié partie avec Esterhazy, combien le vieil ambassadeur se fût senti plus fort dans ses entretiens avec Hanotaux, Dupuy, Casimir-Perier ?

Il disait vrai en leur affirmant sur l’honneur que Dreyfus n’avait jamais été aux gages de Schwarzkoppen. Mais le Président de la République et ses ministres accueillirent ses déclarations avec scepticisme, puisqu’ils savaient d’où venait le bordereau. Ils ne mirent pas sa loyauté en doute, pensèrent seulement que son attaché lui avait caché la vérité.

S’il avait été renseigné par Schwarzkoppen, Munster eût pu deviner l’affreuse erreur, éclairer l’Empereur allemand. Et l’on n’eût pas dénoncé Esterhazy, ce qui eût été trahir un traître[1]. Mais combien d’autres moyens d’empêcher, avant qu’il ne fût consommé, le crime judiciaire ! D’un mot, Schwarzkoppen eût pu

  1. Procès Zola, II, 518, Casella : « Je dis à Schwarzkoppen : « En quoi verriez-vous une diminutio capitis pour le gouvernement allemand, s’il disait : « Dreyfus est innocent, le coupable est un tel ; voici les preuves ? — En principe, répondit le colonel, ce que vous dites est juste ; mais tout un protocole s’y oppose. »