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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


cieux défis sans danger, ou par Henry, ceux où Dreyfus apparaît avec tous les traits caractéristiques d’Esterhazy : « Il déteste les Français… Allemand de goût… Plein de haine pour l’armée française, n’ayant d’admiration que pour l’armée allemande[1]. »

Comme Schwarzkoppen, au début de leurs relations, avait engagé Esterhazy à s’aboucher avec son collègue de Bruxelles[2], Henry fit raconter par ses journaux que Dreyfus, en effet, était aux gages de Schmettau[3].

En même temps, avec un sinistre sang-froid, il écrit à divers correspondants des lettres bien militaires, où il n’est question que d’avancement, et multiplie les démarches à la direction de l’infanterie pour quitter Évreux, venir à Paris comme chef de bataillon. Et, comme le général Robillard le fait attendre, il l’injurie à son ordinaire et regrette Freycinet, « certes, une abominable canaille[4] », mais qui lui avait promis de ne le laisser qu’un an dans les fonctions de major. « Je suis plus embêté que jamais ; que devenir ? »

Il demanda, sans l’obtenir, à faire partie de l’expédition de Madagascar. C’était faire preuve ostensible de patriotisme.

L’homme, tel qu’il se montre lui-même quand il ne joue pas la comédie, n’a ressenti aucune pitié pour le Juif condamné à sa place, dégradé, déshonoré, maudit ; aucun frisson ne l’a traversé ; il lui est venu seulement un mépris plus âcre de l’humanité, bête ou lâche, et des chefs, et de la justice, et de l’armée.

Le 10 février 1896, Dreyfus écrit de l’île de Ré : « Il

  1. Libre Parole du 14 novembre 1894.
  2. Voir p. 73.
  3. Petit Journal et Écho de Paris du 17 novembre, Libre Parole et Cocarde du 4 décembre. (Voir t. Ier, 340)
  4. Lettre du 18 décembre 1894, Évreux.