Certain jour, la faim le tirailla au point de dévorer crues les tomates sauvages qui restaient des plantations qu’avaient faites les lépreux.
Il demanda une ou deux assiettes au commandant, qui répondit d’abord qu’il n’en possédait pas. Il s’ingénia à manger sur du papier, sur de vieilles plaques de tôle rouillée, avalait des malpropretés, se tordait dans des coliques.
Et, tout rompu qu’il était, le sommeil le fuyait. Ses nerfs surexcités, d’une sensibilité suraiguë, refusaient de se détendre. Impossible de dormir dans cette case, humide ou suffocante, où il a été enfermé dès le coucher du soleil, avec ce geôlier-fantôme à son chevet, rongé de vermine, tremblant de fièvre. Son cerveau, dans une demi-somnolence pire que l’insomnie, se met à travailler, évoque, avec la redoutable intensité des pensées nocturnes, tous les incidents de l’inintelligible drame, les chères images de tant d’êtres brisés par l’inique destin. Il secoue ces hallucinations, se lève, ouvre sa lucarne, regarde longuement la mer, argentée sous la lune ou noire sous les rafales torrentielles, l’écoute surtout, « le rythme brutal et saccadé des vagues qui plaît à son âme ulcérée[1] », dévore ses sanglots.
C’est ce régime que l’ancien directeur de l’Administration pénitentiaire, le vicomte de la Loyère, dénonça, l’an d’après, comme « insuffisant[2] ». « La disproportion entre le crime et le châtiment est trop flagrante… Dreyfus n’a d’autre occupation que de nettoyer les verres de son lorgnon[3]. »