Le « Journal » débute par ces lignes :
J’avais jusqu’à présent le culte de la raison, je croyais à la logique des choses et des événements, je croyais enfin à la justice humaine. Tout ce qui était bizarre, extravagant, avait de la peine à entrer dans ma cervelle. Hélas ! quel effondrement de toutes mes croyances, de toute ma raison !
Il avait été élevé dans la religion juive, mais ne pratiquait pas, croyait vaguement au « Grand Horloger ». Désormais, le mot de Schopenhauer va le hanter : « Si Dieu a créé le monde, je ne voudrais pas être Dieu[1]. »
Le talent, au sens « littéraire » du mot, lui fait défaut. « L’éditeur, disent les vieilles éditions de Robinson, pense que ce livre est une vraie histoire de faits. » Le livre de Dreyfus est le vrai journal d’un vrai « Robinson ». Il est écrit d’un même style correct, sans éclat, et d’une même placidité résignée, qu’il s’agisse d’un incident quelconque ou d’une nouvelle douleur ajoutée à tant de douleurs. Et ici, comme dans la fiction anglaise, « le manque d’art devient un art profond[2] ». À peine un cri de rage (qui tient quatre lignes)[3] ; à peine une douzaine de phrases éloquentes, d’un bon élève de rhétorique, où l’infortuné, qui finira par se croire perdu à jamais, pense à la postérité, au hasard qui sauvera ces pages, sauvera sa mémoire. Mais l’émotion naît des autres pages, du simple récit de ses souffrances, (tragiques ou vulgaires, et les plus vul-