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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


de Schwarzkoppen. Et, cette année, qui suivit la condamnation de Dreyfus, ce fut celle où l’attaché allemand, et surtout son correspondant, firent leurs meilleures récoltes, l’un de documents[1], l’autre d’écus. Dans la sécurité que faisait la déportation du Juif, du seul Traître, le métier était devenu excellent, aussi sûr que profitable. Esterhazy toucha de l’attaché allemand plus de cent mille francs[2], dont il donna, du moins pour une part, des reçus ; et il étendit son commerce, travailla avec d’autres attachés, leur procurant, « pour un ou deux billets de mille francs », les renseignements qu’ils ne pouvaient pas avoir directement du ministère[3]. Aussi Esterhazy, pendant un an, n’eut, à solliciter aucun prêteur[4], mena joyeuse vie avec sa maîtresse. Et qui, au ministère, aurait signalé les fuites ? La paralysie s’était abattue sur Sandherr ; Du Paty triomphait ; Henry veillait.

Vers la fin de l’été, Dreyfus commença à décliner. Rien de son frère que des phrases banales ou vagues, après les paroles si formelles de sa femme ; rien de Du Paty ; rien du Président de la République, à qui il avait écrit en avril. Et ces mois de juillet et d’août, la saison sèche, avaient été cruels, par la chaleur torride, sans

  1. Il existe à Berlin plus de 160 pièces (notes, rapports, documents, lettres) émanant d’Esterhazy.
  2. Cass, I, 394, Paléologue. Il signale un télégramme de Camille Barrère, ambassadeur à Rome, qui fait part en 1898, d’après des renseignements autorisés, « qu’Esterhazy aurait reçu, en ces dernières années, de Gouvernements étrangers, une somme de 200.000 francs ». Comme Esterhazy quitta le service allemand au printemps de 1896, la plus forte partie de la somme s’applique à l’année 1895.
  3. Cass., I, 214, Galliffet ; III, 138, lettre du général Talbot au marquis de Salisbury, communiquée à la Cour de cassation par le ministère des Affaires étrangères.
  4. Procès, 134 : « Si j’avais fait l’abominable métier qu’on me prête, ces besoins d’argent, je ne les aurais pas eus.