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L’ILE DU DIABLE


faits, chez eux, se dégagent en pleine lumière ; il est à l’aise avec ces esprits graves, un peu secs. Réfractaire à la poésie, au lyrisme, il aime les proses simples, limpides, qui traduisent les fortes pensées. « Ce n’est pas, écrit-il, la langue française qui est en soi plus claire, plus logique que toute autre, c’est la pensée française. »

Enfin, il a une passion, une seule, l’histoire militaire, et un héros, Napoléon. Il aurait perdu sa poésie militaire ; qui oserait le lui reprocher ? Mais il est resté soldat dans les moelles et n’admire rien tant que les grands généraux de la Révolution et de l’Empire, Hoche, Championnet, Murat, « chef idéal de cavalerie », et, par-dessus tout, l’Empereur. « Sa vue lui permet de saisir, au moment précis et au point précis, la manœuvre qui convient ; ses conceptions, souvent audacieuses, sont servies cependant par des moyens simples ». Il célèbre « son énergique volonté, son impérieuse ténacité, son éloquence si admirablement adaptée à l’âme élémentaire des foules ». Il s’irrite contre Thiers, qui, « en voulant inonder de clarté tous les sujets, a faussé les appréciations sur les campagnes napoléoniennes ». Le capitaine dégradé dit son fait « à ce petit homme » qui prétend réduire en formules le génie de son grand homme. Or, « le génie militaire de Napoléon est que sa pensée n’est jamais arrêtée, qu’elle dépend des événements qu’il sait ingouvernables, mais qu’il sait dominer à la minute exacte où la clarté jaillissait à ses yeux ; et l’action suivait aussitôt le jaillissement de la pensée lucide et dominatrice ».

Il refait alors (contre Thiers) la bataille d’Austerlitz, « qui n’a été ni combinée ni prévue » ; elle naquit de la faute des colonnes russes descendant en masses profondes dans les bas-fonds. « Admirer après coup la