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ESTERHAZY


la Guerre et cordon bleu, favori de Marie-Antoinette[1], camarade du comte d’Artois, l’un de ces princes du monde qui, dans l’ancien Régime finissant, ont joui le plus de la douceur de vivre, il n’en restait pas moins étranger, presque hostile, et, français par pis-aller, à la moindre contrariété, demandait à passer au service d’Autriche[2].

La patrie, c’est où l’on est le mieux. Que le roi lui fasse attendre son régiment, ou que le ministre lui adresse une réprimande, il met en mouvement les parents de Vienne pour lui obtenir ses lettres d’abolition. La Reine elle-même sollicite pour lui, demeurée, elle aussi, Autrichienne, peut-être par fatigue d’une liaison tyrannique[3]. Dix fois il eût changé d’uniforme sans la répugnance qu’il inspirait à Marie-Thérèse ; elle refusa obstinément à ce fils et petit-fils de transfuges le pardon du péché originel[4].

  1. Mémoires, inédits, IV, 17 et suiv. — Il ne se donnait pas seulement pour le favori, mais jouait au jaloux. Il chercha querelle à Lauzun « pour s’être trop occupé de la Reine au bal de l’Opéra ». (Mémoires de Lauzun, 238.) — Le comte de Saint-Germain l’ayant envoyé en garnison à Montmédy, la Reine fit chercher le ministre et lui ordonna, en termes vifs, de changer aussitôt ses destinations de manière « que M. d’Esterhazy fût content ». Et « là-dessus, écrit Esterhazy, elle lui tourna le dos et vint me trouver dans le cabinet d’où j’avais tout entendu ». (Mémoires, IV, 16.)
  2. Il raconte lui-même ces démarches. (Mémoires, 4, 5, etc.)
  3. Reine à peine depuis quelques jours, Marie-Antoinette écrit à sa mère : « Il y a tout lieu d’espérer qu’éloigné de ce dangereux pays et vivant au sein de sa famille, il peut devenir un bon sujet. Au contraire, je crains que, si on le traitait avec toute la sévérité qu’il mérite, sa tête ne soit pas encore assez remise pour qu’il ne fasse encore quelque nouvelle sottise. J’espère que ma chère maman ne tourne pas tout entière contre Esterhazy. » (Lettre du 14 mai 1774, Recueil d’Arneth.)
  4. Elle lui permit cependant, à plusieurs reprises, le séjour de Vienne. (Lettre du 3 avril 1774.)