Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ce Français malgré lui devait accueillir la Révolution avec horreur. Les idées nouvelles, qui eurent tant de prise sur la noblesse, n’en eurent aucune sur ce féodal ; d’un sûr instinct, il a détesté « la secte philosophique » et prédit qu’elle perdrait la monarchie[1].

Esterhazy « s’est fait gloire » qu’au premier grondement de « l’affreuse Révolution », il quitta Valenciennes pour accourir à Paris. Tous les abords en étaient occupés par les régiments étrangers, allemands et suisses[2], qui auraient vite fait, en quelques heures, d’écraser la populace. Impatient de bataille, il brûlait les étapes. Quand il arriva aux portes de Paris, le 14 juillet, vers le déclin du jour, la Bastille était prise[3].

Dans la nuit même, il tourna bride et rentra à Valenciennes ; son commandement devint, dès lors, le grand passage des émigrés : Artois d’abord, puis Condé, et les Polignac, les Broglie, et tous les autres. Il les accompagnait, en armes, jusqu’à la frontière et préparait avec eux le coup du retour, leur donnant rendez-vous dans trois mois[4]. Deux canons chargés contenaient le peuple ; cependant la garnison elle-même devint menaçante[5], et il fut obligé de quitter la place.

Il n’y avait point de pire conseiller pour la Reine, dans ces heures tragiques, que cet homme de fausse énergie,

  1. Mémoires, IV, 29. — Il dénonce les ministres « maladroits » qui commirent la faute contagieuse « d’établir la liberté en Amérique en soutenant des sujets révoltés contre leur souverain ». Necker est un « charlatan » et un « scélérat ».
  2. Michelet, Révolution, I, 159 : « Royal-Cravate était à Charenton ; à Sèvres, Reinach et Diesbach ; Nassau était à Versailles, Salis-Samade à Issy, les hussards de Berchény à l’École militaire ; ailleurs, Châteauvieux, Esterhazy, Rœmer. »
  3. Mémoires, IV, 35.
  4. Ibid., 36 ; E. Daudet, Coblentz 7.
  5. Les régiments d’Orléans et Royal-Suédois. (Mémoires IV, 37.)