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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


— l’engagea à ne pas s’occuper davantage de cette mauvaise affaire : « Il y va de ta tranquillité, de ton séjour en Alsace. C’est la réponse d’un homme qui est bien renseigné. Du reste, il paraît certain que Dreyfus est coupable. » Et, comme Scheurer insistait, eût voulu comprendre l’énigme : « Je ne te dirai rien de plus ; je manquerais à la confiance qui m’a été témoignée. Crois-moi : laisse cette histoire[1]. »

En quoi le séjour de Scheurer en Alsace eût-il été compromis parce qu’il aurait mis en doute le crime d’un homme dont le gouvernement allemand avait hautement affirmé l’innocence ? L’argument étonna Scheurer. En y réfléchissant mieux, il eût reconnu le caractère suspect de cette sollicitude. L’étrange formule. Billot, désintéressé dans le drame, ne l’a pas inventée. Elle vient de quelqu’un qui a intérêt à ce que l’affaire ne soit pas examinée de près. On sait l’attachement passionné de Scheurer pour l’Alsace, sa joie à s’y retrouver. On le menace dans sa plus chère affection.

Freycinet rapporta exactement la même réponse, le même conseil de ne pas s’occuper d’une affaire « qui lui donnerait plus que des ennuis et lui interdirait le retour dans son pays ».

Scheurer conclut que les deux anciens ministres de la Guerre s’étaient adressés au même personnage ; mais il ne poussa pas le raisonnement plus avant.

Freycinet expliqua, en outre, que le procédé pour

  1. Lettre de Voltaire à D’Alembert du 1er mai 1760 : « Quel fut mon étonnement lorsque, ayant écrit en Languedoc sur cette étrange aventure, catholiques et protestants me répondirent qu’il ne fallait pas douter du crime de Calas… Je pris la liberté d’écrire à ceux-mêmes qui avaient gouverné la province, à des ministres d’État ; tous me conseillèrent unanimement de ne point me mêler d’une si mauvaise affaire. » (xxxvi, 177.)