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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


eux-mêmes n’ont pas trouvé de mobile au crime imputé à Dreyfus : « Sa famille est honorable, ses notes excellentes, il s’est marié jeune, il n’a jamais mis les pieds dans un tripot, il était le plus riche des jeunes capitaines d’État-Major : qu’aurait-il eu à attendre des Allemands ? Rien que le mépris. Il n’est pas fou… — Il y a un mobile, interrompt le Président. — Lequel ? — Je ne puis pas le dire, le cœur de l’homme est plein de mystère. » Et, comme Gibert s’obstine, Faure lui confie que Dreyfus n’a pas été condamné sur les faits d’audience, mais sur le vu d’une pièce qu’il était impossible de soumettre à l’accusé ni à l’avocat, dans la crainte d’incidents diplomatiques. « Et cette pièce ? — Je ne puis rien vous dire, sinon qu’elle ne laisse aucun doute sur la trahison. » Faure demanda à Gibert sa parole qu’il garderait un silence absolu sur cette confidence ; pourtant, il l’autorisa à en informer Mathieu.

Cette violation des droits de la défense, dont la gravité avait échappé à Scheurer, a indigné le vieux médecin : « Cette pièce est-elle authentique ? Dreyfus ne l’aurait-il pas victorieusement contestée ? » Mais le Président reste inflexible. Gibert le supplie de retarder, du moins, le départ de Dreyfus pour l’île du Diable. Faure

    sincérité ne mettra en doute la réalité de la confidence qu’il a reçue en février 1895. » Selon Monod, le récit eût pu être confirmé par Siegfried, sénateur de la Seine-Inférieure, ancien maire du Havre et, lui aussi, ami personnel de Gibert et de Faure. (Temps et Figaro du 29 mars 1899.) Le sénateur mis en cause refusa d’intervenir dans la polémique. D’autre part, je tiens de Mathieu Dreyfus un récit identique qui lui fut fait par Gibert, le 21 février, à l’hôtel de l’Athénée, à l’issue de l’entrevue matinale avec Félix Faure, et qu’il a consigné dans ses Souvenirs. — Le récit de Gibert fut confirmé par l’enquête de la Cour de cassation, qui établit la communication des pièces secrètes, et par l’aveu de Mercier à Rennes.