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L’ILE DU DIABLE


être eût-il parlé alors[1]. Le patriotisme de ces Alsaciens s’y refusa.

XIII

Le procès, aujourd’hui connu dans ses moindres détails, était alors entièrement inconnu. On ne savait que le verdict des juges, la parade d’exécution, les protestations de Dreyfus. Mais le fait précis dont le Juif avait été accusé, tous l’ignoraient. Dès lors, toutes les inventions mensongères des journaux avaient trouvé créance : c’était sur mille preuves irréfutables que le traître avait été condamné. À peine quelques esprits attentifs acceptèrent la protestation de Demange que le dossier était composé d’une seule pièce. Mais quelle était cette pièce ?

Mercier avait calculé juste en ordonnant le huis clos ; le crime semblait d’autant plus certain et plus horrible qu’il n’avait pu être proclamé que dans les ténèbres. Les convictions raisonnées sont faites de lumière. L’universelle conviction, d’autant plus violente, était faite de nuit.

La nuit était trop épaisse encore pour qu’un seul rayon, pénétrant dans cette ombre, la dissipât. Mais c’était l’évidence aussi que de cette trouée, comme d’une blessure, l’ombre mourrait.

Mathieu, dès qu’il connut l’unique et misérable

  1. Procès Zola, II, 515, Casella : « Schwarzkoppen a bon cœur, me dit Panizzardi, et je crois qu’il lui eût été bien difficile, bien pénible de se dérober aux instances toutes naturelles d’un frère, d’une femme, d’une famille éplorés. Je ne sais ce qu’il aurait pu faire, mais peut-être les choses eussent-elles tourné autrement. »