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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


l’ordre qu’il donna, le soir de la condamnation, de disloquer le dossier secret et de détruire le commentaire qui avaient décidé du verdict des juges, il exposera que « la loi de 1895 n’était pas encore votée à cette date (décembre 1894) ; il n’y avait, par conséquent, pas de suite judiciaire à donner au procès[1] ». L’observation est exacte, tout à l’honneur de la science juridique de Mercier. L’ancienne loi, en effet, — l’article 443 du code d’Instruction criminelle — ne prévoyait que trois cas de revision : en cas de condamnation pour homicide, l’existence de la prétendue victime ; la contradiction entre deux jugements sur le même fait ; la condamnation de l’un des témoins pour faux témoignage. La loi nouvelle, au contraire, élargissait ce cadre trop étroit : désormais, le droit de demander la revision appartiendra au ministre de la Justice chaque fois que surviendra un fait nouveau « de nature à établir l’innocence du condamné[2] ».

Ainsi, comme par un jeu du sort, cette Chambre, qui venait de voter la loi sur les îles du Salut et allait voter la loi sur la trahison, forgeait entre temps l’instrument des réparations futures ; elle pense sceller à jamais sur le Juif de l’île du Diable la pierre du tombeau ; elle-même, elle commence à la lever.

  1. Rennes, I, 162, Mercier.
  2. Cette loi du 9 juin 1896 était, depuis cinq ans, en discussion devant les Chambres. À la suite de l’affaire Borras, la Chambre des députés avait été saisie, le 4 juin 1890, de quatre propositions relatives à la modification de l’article 443 du code d’Instruction criminelle et à la réparation civile des erreurs judiciaires. Ces propositions émanaient de Georges Laguerre, Chiché, Henri de Lacretelle et de moi-même. (Je note, parmi les signataires de ma proposition, les noms de Charles Dupuy, Barthou, Camille Pelletan, Lanessan, Cochery, Delcassé, Pichon, Poincaré, Chautemps, Deluns-Montaud.) Ces diverses propositions furent fondues en un texte unique, qui fut considérablement modifié par le Sénat.