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L’ILE DU DIABLE

Le mémoire de Bernard Lazare, d’un style très simple, sans trace aucune de déclamation, résumait, d’après le rapport de d’Ormescheville et les notes de Dreyfus, tous les faits, alors connus, de la cause. S’il considérait à tort qu’il n’y avait pas eu trahison, mais complot, et que le bordereau était l’œuvre d’un faussaire (erreur excusable puisqu’il n’en connaissait pas encore le fac-similé), il allait, du premier coup, jusqu’au fond de la question. Sur l’origine du bordereau, il montrait combien il était invraisemblable que l’attaché étranger eût jeté ce document au panier pour compromettre inutilement son agent. Toutes les interprétations de d’Ormescheville, en ce qui concerne les quatre notes, sont arbitraires et de pure fantaisie. Les légendes sur les innombrables trahisons de Dreyfus sont des mensonges. Le bordereau a été la seule base de l’accusation. Aucune autre preuve, ni commencement de preuve, n’a pu être alléguée contre le malheureux. Les experts en écriture se sont divisés ; le rapport de Bertillon est l’œuvre « d’un maniaque dangereux ». On a scruté toute la vie de Dreyfus, fouillé sa correspondance ; le ministère public a été obligé lui-même de reconnaître la parfaite probité du condamné ; il n’a eu aucune relation suspecte ; il est riche, sans passions ruineuses ; « c’est un calme, un pondéré, un être de courage et d’énergie. Quels motifs cet heureux avait-il pour risquer son bonheur ? Aucun. »

S’élevant à l’éloquence, Bernard Lazare racontait l’enquête de Du Paty, les tortures infligées par cet inquisiteur au mari et à la femme, tant de sottises et tant de sauvageries. Et, Juif lui-même, il réclamait la justice pour le Juif.