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L’ILE DU DIABLE

Comme si Mercier avait été fait sacré par la condamnation de Dreyfus, la Chambre avait à peine discuté les responsabilités de l’expédition de Madagascar. L’administration de la guerre réclamant, sans y être préparée, la conduite de l’opération, l’humiliation d’emprunter des transports à l’Angleterre, les soldats transformés, dès le débarquement, en déchargeurs, puis en terrassiers, le scandale du wharf de Majunga, celui, plus désastreux encore, des voitures inutilisables de l’inventeur Lefèvre, le ravitaillement mal assuré, la colonne de marche s’épuisant, à travers les plaines marécageuses, à la construction de la route, les hôpitaux encombrés de malades, dépourvus de matériel ; le 200e régiment d’infanterie perdant, sans combattre, 26% de son effectif, le 40e bataillon de chasseurs à pied réduit de moitié, tous ces jeunes hommes mourant de dysenterie et de fièvre, trois mille cadavres jonchant l’affreux chemin, — le ministre, Cavaignac, constatait lui-même ces désordres, cette impéritie, donnait lui-même ces chiffres cruels[1]. Il confessait en outre, spontanément, que l’expédition avait été préparée, en moins d’un mois, par une commission de quatre membres, dont aucun n’avait de responsabilité dans la direction de l’entreprise[2]. Mais il invoqua les lois d’airain de la guerre, et la Chambre s’inclina.

  1. Chambre des députés, séance du 27 novembre 1895, discours de Cavaignac, ministre de la Guerre, en réponse à une interpellation sur l’expédition de Madagascar. — Le chiffre de 3.000 morts est donné par une dépêche du colonel Bailloud que cite Cavaignac ; le ministre ajoute à ces pertes environ 500 hommes morts durant la traversée et dans les hôpitaux depuis le rapatriement. — Voir le Rapport du général Duchesne, 42, 43, etc.
  2. « En réalité, dit Cavaignac, l’expédition a été préparée par une Commission qui a siégé au mois d’août 1894 et qui comprenait un chef de bataillon représentant le ministre des Colonies, un chef d’escadron représentant le ministre de la


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