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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XV

Bernard Lazare eut voulu publier tout de suite sa brochure ; Mathieu pensa qu’il fallait attendre une occasion favorable, l’incident imprévu qui forcerait l’attention, qu’il espérait tous les soirs pour le lendemain.

Plus d’une année s’écoula dans cette attente.

Il s’engageait sans cesse sur de nouvelles pistes, qui ne le menaient à rien, se débattait dans le vide, dans la nuit, sans fil conducteur.

L’été, à Saint-Cloud, où il n’osait pas donner son nom ; l’hiver, à Paris, les heures, les jours se succédaient, interminables. Les rares amis se faisaient plus rares. Presque seul, Forzinetti venait voir les Dreyfus, ouvertement, sans qu’on osât le frapper ou seulement l’avertir[1].

Et l’oubli poussait, plus épais chaque jour. Toutes les polémiques s’étaient tues. Quelque temps, dans les bureaux de rédaction, dans les salons, on avait discuté encore la mystérieuse affaire ; puis, la formule des sept officiers infaillibles, érigée à la hauteur d’un principe, s’était imposée, définitivement victorieuse. Aux rares logiciens qui, parfois, exprimaient un doute, le jeune diplomate Paléologue, qui avait reçu les confidences d’Henry, répondait par cette image : « Un mur s’abaisse ; vous apercevez Dreyfus en conversation avec Schwarzkoppen : voilà les preuves. » Ou c’était le commandant Bertin qui s’écriait : « Me Demange ! c’est l’avocat de l’ambassade d’Allemagne[2] ! »

  1. Souvenirs de Mathieu Dreyfus.
  2. Rennes, II, 63, Labori.