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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


se commande pas, et, aussi, parce qu’il était alors antisémite[1].

Il l’était sans fanatisme d’aucune sorte, toute violence lui étant étrangère ; mais, s’il était d’intelligence trop haute pour ne pas sourire des lointaines rancunes du chrétien qui reproche à Israël d’avoir crucifié son dieu, et de cœur trop droit pour ne pas mépriser les passions tapageuses des sectaires et les arrière-pensées sordides des maîtres-chanteurs, il avait le préjugé atavique qui a existé, pendant longtemps, en Alsace, contre les Juifs. En effet, avant et même après la Révolution, beaucoup de Juifs du pays rhénan pratiquèrent avec rapacité le commerce de l’argent[2], prêteurs et marchands de biens et, plus tard, sous le régime de la conscription, « marchands d’hommes ». En 92, quand les paysans et les bourgeois eurent besoin d’argent pour acheter 60 millions de biens nationaux, ils empruntèrent volontiers aux Juifs ; ils payèrent, moins volontiers, des intérêts, d’ailleurs abusifs[3]. Le

  1. Procès Zola, II, 416 : « Me  Clemenceau : C’est M. le colonel Picquart qui a conçu les premiers doutes. — Zola : Et il est antisémite ! — Clemenceau : Je n’en savais rien, ce n’en est que plus significatif. » — Anatole France, dans le portrait qu’il a fait de Picquart, conteste cette appréciation de Zola : « Plusieurs personnes ont dit que, pour accomplir sa tache, pour établir l’innocence d’un juif et le crime d’un chrétien, il avait dû surmonter des préjugés cléricaux, vaincre des passions antisémites enracinées dans son cœur dès son jeune âge, tandis qu’il grandissait sur cette terre d’Alsace et de France qui le donna à l’armée et à la Patrie. Ceux qui le connaissent savent qu’il n’en est rien, qu’il n’a de fanatisme d’aucune sorte, que jamais aucune de ses pensées ne fut d’un sectaire, que sa haute intelligence l’élève au-dessus des haines et des partialités, et qu’enfin c’est un esprit libre. » (M. Bergeret à Paris, 195.)
  2. Certains d’entre eux étaient les prête-noms et les intermédiaires d’usuriers chrétiens. (Pétition des juifs à l’Assemblée Nationale, le 28 janvier 1790.)
  3. Bernard Lazare, l’Antisémitisme, 198. — Voir Grégoire Essai sur la régénération des Juifs. — Napoléon, par un décret