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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ces angoisses, quelques remords peut-être, accélérèrent la marche de la paralysie générale qui couvait depuis longtemps chez lui[1], et qui est lente à exercer ses derniers ravages. Un autre mal le rongeait encore. Pendant que sa moelle se vidait et que ses membres devenaient de bois, sa figure, subitement terreuse, se couvrait de plaques blanches. Il cherchait les mots sans les trouver, la salive à la bouche, riait parfois d’un rire d’enfant ; son cerveau s’obscurcissait. Il eut une attaque[2], quitta le bureau et s’alita.

Cordier, qui était entré au bureau deux jours après Sandherr, avait résolu de le quitter avec lui. Il n’avait jamais ambitionné sa succession et la savait réservée à Picquart[3]. Bien qu’antisémite, lui aussi, parce qu’il avait été trompé autrefois par un officier ministériel juif, et grand lecteur de Drumont et de Rochefort[4], il avait eu des doutes sur la culpabilité de Dreyfus. Il fallut le verdict unanime pour le rassurer[5]. Les façons des autres officiers du service lui déplaisaient. Il avait partagé la méfiance de Sandherr à l’endroit d’Henry, connaissait son intrigue avec Gribelin et Lauth[6]. Le capitaine Matton avait obtenu déjà de s’en aller[7].

Sandherr malade, Cordier dégoûté[8], c’était Henry,

  1. Rennes, II, 524, Cordier.
  2. Ibid., I, 369, Picquart. — Sandherr traîna longtemps ; il mourut deux ans plus tard, à Montauban, le 24 mai 1897.
  3. Rennes, II, 516, Cordier, — Nommé lieutenant-colonel le 24 décembre 1894, deux jours après la condamnation de Dreyfus, il demanda, dès janvier, à entrer dans le contrôle.
  4. Rennes, II, 528, Cordier ; Ibid., Lauth.
  5. Cass., I, 301 ; Rennes, II, 515, Cordier.
  6. Rennes, II, 520, 521, Cordier.
  7. Ibid., 522, Cordier ; 533, Lauth.
  8. Il faisait l’intérim (Cass., I, 302, Cordier), mais, selon Lauth, avec peu d’activité (Rennes, II, 534).