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LE PETIT BLEU


eût coupé la langue[1]. On ne lui enleva que la parole, le prône lui fut interdit. La chaire du Temple resta vide ; aucun Alsacien n’y voulut prendre sa place. Michelet, dont il fut l’ami, a écrit : « Dès l’origine (de la Réforme), ce fut une très grande difficulté de trouver des supplices pour venir à bout de tels hommes[2]. » Il fut suspendu de ses fonctions, privé de son traitement (il était loin d’être riche), traqué, persécuté de toutes manières. Il ne céda pas. À la longue, ce furent les vainqueurs qui cédèrent. Le vieux Leblois, un jour, remonta en chaire, comme s’il n’en était descendu que la veille, pria, prêcha en français.

Le fils de cet homme intrépide cachait, sous une gravité un peu sèche, des sentiments généreux, l’esprit ingénieux, mais compliqué, le corps mince et fluet, d’aspect inquiet, de fond très ferme. Il avait paru à la barre dans quelques affaires importantes, notamment celle du général Reste[3], qu’il gagna, mais consultait plus volontiers qu’il ne plaidait.

Leblois, au printemps de 1896[4], vint une dizaine de fois au ministère[5]. L’une des réformes de Picquart

  1. Comme on le fit à Alexandre Canus, d’Évreux (1532), puis à cent autres.
  2. Hist. de France, IX, 87.
  3. Cass., II, 162, Picquart.
  4. Instr. Fabre, 28, Billet, concierge au ministère : « Leblois est venu, pour la première fois, dans le courant d’avril ou de mai 1896 ; le colonel Picquart m’avait prévenu. » — « Plus tôt, dit Picquart, en mars ou avril, quand le dossier Boulot a été envoyé du parquet de Nancy. » (Instr. Fabre, 94.) « Au printemps. » (Procès Zola, I, 326.) — De même Leblois (Instr. Fabre, 184). — « Dans le premier semestre », dit Valdant (23). — « À la fin de 1895 », dépose Gribelin (18). — « Du printemps à l’automne », selon Henry (13). Au procès Zola (I, 228), Henry donne la date de février.
  5. « Dix ou douze fois », dit Picquart, « et je crois être au-dessus de la vérité. » (Instr. Fabre, 92.) Plus loin (119), il dit