Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
266
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


après son deuil, il fit un voyage d’État-Major avec Boisdeffre[1]. Henry fit l’intérim du bureau, d’autant plus à l’aise pour pousser son travail de taupe.

Desvernine continuait à surveiller Esterhazy : il avait presque abandonné son domicile, couchait chez la fille Pays, fut à la veille d’être saisi, fréquentait toujours des gens de Bourse. Le 28 juin, Esterhazy donna congé de son appartement, mais pria le concierge de ne pas trop se presser pour louer, car il allait probablement rester à Paris et être attaché au ministère de la Guerre. Il dit encore à cet homme : « On nous a prévenus qu’on faisait dans ce moment des enquêtes sur des officiers. Si on vient vous demander des renseignements sur moi, vous n’avez rien à dire. Faites monter chez moi, je me charge de répondre[2]. »

Ces propos, l’indignité de la vie privée d’Esterhazy, détruisirent peu à peu chez Picquart l’idée que Schwarzkoppen lui aurait tendu un piège.

  1. Cass., I, 150, Picquart. — Une affaire assez confuse d’espionnage éclata, à cette époque, à Belfort ; Picquart ne s’en occupa que d’une façon intermittente. Un espion italien, du nom de Caïnelli, qui travaillait aux forts, avait été arrêté sur la dénonciation d’un agent du service des Renseignements, Galanti. L’instruction marchait mal, faute de preuves. Le juge voulut entendre Galanti, que l’Italien accusait d’être un provocateur. Picquart s’y opposa, car Galanti, par cela seul qu’il eût paru comme témoin, eût été « brûlé » en Alsace où il travaillait pour le compte du service. Il donna, en conséquence, à Galanti l’ordre de « filer immédiatement », mais fit porter à Belfort, par Henry, des rapports probants de cet agent. Les pièces furent déposées au parquet ; le tribunal condamna Caïnelli à trois ans de prison. Henry raconta, par la suite, que les pièces avaient été communiquées secrètement aux juges, à l’insu de la défense. (Rennes, I, 313, Roget ; 397, Picquart). — Roget accuse Galanti d’avoir joué le rôle d’un agent provocateur et « semble croire à l’innocence de Caïnelli. — Cette histoire fut racontée à Drumont qui la révéla, à sa manière, dans la Libre Parole du 19 janvier 1899.
  2. Rapports des 24 juin, 7 et 10 juillet.