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LE PETIT BLEU

Jamais plus il ne lui donnera la main[1].

Il resta longtemps, perdu dans ses pensées[2], devant ces papiers horribles et niais.

Il n’était point dévot, pas même croyant. D’autant plus sévèrement, il procéda à son examen de conscience.

Qu’eût-il décidé, s’il avait eu un confesseur ?

Il vit Dreyfus innocent de toute faute, irréprochable, torturé, supplicié, depuis dix-huit mois, dans son corps, dans son âme, un homme comme lui, un officier comme lui, un alsacien comme lui.

Et, surtout, il vit sa faute, à lui, qui, devant l’effondrement de l’accusation contradictoire, avait mis son espoir dans ces pièces, celles qui étaient là devant lui, qu’il avait portées lui-même, croyait-il, aux juges.

Il réfléchit presque toute la nuit. La certitude qui s’est faite en lui qu’une affreuse erreur judiciaire a été commise, que l’armée se doit à elle-même de la réparer, de châtier le coupable, de rendre son honneur à l’innocent, dès demain, il dira tout à Boisdeffre.

Cela, très simplement, comme il faisait toutes choses, sans phrases.

Il ne se crut pas un héros ; il se savait un honnête homme. Penser, agir autrement serait d’un infâme, d’un drôle indigne de porter l’uniforme.

XXIII

Le lendemain, 1er septembre, Picquart rédigea une note de quelques pages où il résuma les charges contre Esterhazy : la carte-télégramme ; la déclaration de

  1. Cass., I, 213, Picquart : « J’ai cessé toute relation avec lui mais sans éclat. »
  2. Ibid., 156, Picquart.