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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Cuers à Foucault ; les allures suspectes de l’officier dans son régiment (tout ce qu’il savait par Curé) ; le bordereau, d’une similitude d’écriture qui frapperait l’œil le moins exercé, d’un contexte qui ne laisse pas un doute ; les tares, le désordre de l’homme qui, père de famille, entretient une fille, berne ses créanciers, tripote avec des escrocs.

La note conclut à une enquête approfondie. Il est nécessaire, avant tout, de demander des explications à Esterhazy sur ses relations avec l’ambassade d’Allemagne. Il serait intéressant d’interroger ses secrétaires. « Il est indispensable d’agir inopinément, avec fermeté et prudence, car le commandant est signalé comme un homme d’une rouerie sans égale[1]. »

Muni de cette note, du petit bleu, d’un fac-similé du bordereau, des pièces de comparaison, des rapports de Desvernine et du dossier secret, Picquart se rendit chez Boisdeffre, lui exposa sa découverte, ses arguments[2],

Quand Picquart en arriva au dossier secret, Boisdeffre, jusqu’alors impénétrable, passé maître, à bonne école, dans l’art des savantes dissimulations, ne put retenir ce cri : « Pourquoi n’a-t-il pas été brûlé, comme il avait été convenu[3] ? »

Picquart, de cette question, reçut un choc. Il apprenait, pour la première fois, cet ordre étrange. Il raconta sa conversation avec Sandherr.

C’est ainsi que Boisdeffre connut la désobéissance de Sandherr, la menaçante précaution d’Henry.

Boisdeffre ne fit aucune autre réflexion[4]. Il ne pro-

  1. Cass., II, 89.
  2. Cass., I, 156 ; Rennes, I, 432, Picquart ; Instr. Fabre, 60 ; Rennes, I, 524, Boisdeffre.
  3. Revision, 121, lettre de Picquart au garde des Sceaux.
  4. Cass., I, 139, Picquart : « Les généraux Boisdeffre et Gonse ont regardé ces pièces avec moi, comme étant les pièces communiquées aux juges. »