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LA DOUBLE BOUCLE

Je ne récrimine aujourd’hui contre personne ; chacun a cru agir dans la plénitude de ses droits, de sa conscience.

Je déclare simplement encore que je suis innocent et je ne demande toujours qu’une chose, toujours la même, la recherche du véritable coupable, l’auteur de cet abominable forfait.

Et le jour où la lumière sera faite, je demande qu’on reporte sur ma chère femme, sur mes chers enfants, toute la pitié que pourra inspirer une si grande infortune.

Le supplice des fers fut renouvelé pendant quarante-quatre nuits, du 6 septembre au 20 octobre[1].

Son corps n’était plus qu’une plaie, ses chevilles écorchées, en sang. Chaque matin, après avoir dégagé ses pieds de la double boucle, il fallait les panser. Ses gardiens, bouleversés, osèrent, en cachette, envelopper ses pieds de langes avant de le remettre aux fers.

Il crut qu’on voulait le faire mourir ; il se roidit, répétant : « Je veux vivre. »

Et, de ce jour, il resta enfermé dans sa case, sans une minute de promenade, d’air libre, pendant plus de deux mois, du 7 septembre au 12 novembre[2], tout le temps qu’il fallut pour exécuter les ordres de Lebon, construire, lentement[3], la double palissade.

Ses gardiens n’y purent tenir, firent plainte sur plainte, « déclarant que leur crâne éclatait[4] ».

Lebon, quand il donna, sous la terreur de Drumont,

  1. Télégramme du gouverneur en date du 26 octobre 1896). (Rennes, I, 250, Rapport.) — Rennes, I, 240, Lebon : « Je ne croyais pas aggraver particulièrement les souffrances du prisonnier. »
  2. Rapport du 12 novembre 1896.
  3. « Les travaux furent malheureusement exécutés avec moins de célérité que je ne l’espérais. » (Lettre de Lebon au Journal des Débats.)
  4. Cinq Années, 237.