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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sie se référait à cette machination dont, au surplus, Dreyfus aurait été déjà informé. Picquart avait lu toutes les lettres de Dreyfus, toutes celles que le condamné avait reçues des siens ; ces lettres, il les avait chauffées en vain pour y découvrir une trace quelconque d’écriture à l’encre sympathique ; il n’y avait lu que l’espoir de l’immanente réparation. Et, tout à coup, voici cette missive extravagante, où les plus redoutables secrets éclatent comme les signes de feu sur la muraille de Babylone ; elle révèle l’existence d’un langage conventionnel entre le malheureux, depuis deux ans supprimé du monde, et les siens qu’il n’a vus, avant son départ pour le bagne, que devant témoins ; elle apporte, contre Dreyfus, et comme par défi, la preuve éclatante du crime[1] dont Picquart le sait innocent. Et ce serait l’œuvre de gens qui savent que leur correspondance, celle du condamné, sont lues et relues avant d’être transmises !

À quel moment cette lettre est-elle interceptée ? Quatre jours après que Picquart a porté à Boisdeffre la preuve de l’innocence de Dreyfus, le lendemain du jour où il l’a portée à Gonse ! Cette coïncidence échappe à Picquart.

Ainsi tous deux « sont d’accord » que le document est authentique[2], Picquart qui sait que Dreyfus a été injustement condamné, Lebon qui sait qu’il l’a été en violation de la loi[3].

Lebon lui-même a précisé que la saisie de cette pièce

  1. « Indiquer avec précision… etc. »
  2. Rennes, I, 241, Lebon ; I, 436, Picquart.
  3. Instr. Fabre. 98, Picquart : « Je rappelai à Gribelin l’entretien qu’il avait eu avec M. Lebon au commencement de septembre et dans lequel il avait été question des pièces secrètes ; il me répondit : « C’est pourtant vrai ! »